Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
12 novembre 2013 2 12 /11 /novembre /2013 16:14

florac.jpgIl doit paraître cet hiver. L'essentiel de l'intrigue se déroule dans les Cévennes et quelques chapitres en Ecosse. Une histoire qui fait écho, de loin, à "L'armée furieuse", de Fred Vargas. Le titre : "Rejoins la meute".

 

Chapitre XVIII

Florac, le 27 août 2006,
...
L’orage menaçait. Le ciel se chargeait au sud. Anthony et Ludovic avaient jugé plus prudent de regagner leur refuge. Lorsque les éclairs zébraient le ciel du côté du massif de l’Aigoual, il y avait fort à parier que le tonnerre allait gronder sur Florac dans l’heure suivante. Le vent se faisait de plus en plus fort. Les deux hommes s’étaient éloignés du centre-ville, en titubant, pour prendre la direction de la Salle-Prunet où ils squattaient une ancienne usine désaffectée. Là, au moins, ils seraient à l’abri, même si l’état de délabrement du toit de tôles laissait ruisseler la pluie à l’intérieur. Tout au long de la journée, une chaleur étouffante avait enveloppé la région et la ville avait fait le plein de touristes. Les terrasses des cafés et des restaurants étaient remplies et la foule se bousculait sur l’Esplanade Marceau Farel et ses alentours.
Les deux hommes avaient fait la manche et récolté une belle manne. Trente euros à eux deux. De quoi voir venir ! Ludovic n’avait pas eu trop à insister pour convaincre son ami d’acheter un pack de bières. Douze canettes. De la Desperados, leur préférée. Un luxe ! La chaleur de plus en plus moite, le tourbillon de la foule des touristes, l’euphorie de cette journée pas comme les autres les avaient conduits à picoler. La presque totalité du pack ! Ils avaient gardé deux canettes pour le soir. Pour accompagner les paninis qui se trouvaient dans leurs sacs, aussi crasseux qu’eux et sur lesquels ils avaient fini par se vautrer. Les passants qui, jusqu’en milieu d’après-midi, s'étaient montrés généreux avec les deux jeunes gens, séduits par leur sourire avenant, avaient progressivement changé d’attitude. Ils faisaient un écart pour éviter les deux hommes, au regard incertain et à la voix pâteuse, qui les invectivaient, les insultaient et se montraient de plus en plus menaçants.
Ludovic et Anthony avaient regagné avec peine la friche industrielle qui leur servait de repaire. La pluie les avait surpris en cours de route et ils étaient arrivés à bon port, mouillés jusqu’aux os. Avec la pluie, la température était retombée. L’alcool qu’ils avaient ingurgité atténuait la sensation de froid générée par le contact de leurs vêtements trempés avec leur épiderme. Depuis qu’ils étaient devenus des marginaux et qu’ils sillonnaient les routes de la région, ils avaient pris l’habitude de ce type de désagréments. A d’autres moments de l’année, c’était le rhume assuré, au pire une bonne bronchite. Ils attendaient que cela passe. Et cela passait, plus ou moins bien, au prix d’une dégradation de leur état physique, délabrement dont ils ne prenaient pas vraiment conscience. A vingt-cinq ans pour l’un et vingt-six ans pour l’autre, on leur en aurait donné dix de plus. Leurs cheveux sales, leur teint de plus en plus aviné et leur silhouette cassée les éloignaient irrémédiablement de l’image des deux beaux garçons qui, quelques années auparavant, fréquentaient ensemble les bancs de l’université de Montpellier.
Leur première rencontre remontait à sept ans. Anthony Level attaquait sa troisième année de licence en Histoire. Attiré par le Moyen-âge, il n’avait entrepris ces études que pour mieux pénétrer l’histoire du pays cévenol qui le fascinait, avec un attrait plus marqué pour les bandes de routiers qui l’avaient dévasté entre le milieu du XIVe et celui du XVe siècle. De son côté, Ludovic Marty, passionné de littérature fantastique et d’ésotérisme médiéval, s’était engagé dans un premier cycle de Lettres, convaincu de trouver dans ces études une expertise utile pour satisfaire ses curiosités intellectuelles. Tous deux éprouvaient une fascination morbide pour les exactions commises par les grandes compagnies qui occupaient ou sillonnaient la région des Cévennes pendant la Guerre de Cent ans.
Tout concourait à réunir les deux jeunes gens que le hasard amena à devenir voisins de chambre à la cité universitaire de Montpellier. Dès lors, une amitié profonde était scellée. Mais autre chose les rapprochait aussi. Quelque chose de plus trouble et de plus inquiétant encore que leur passion commune pour l’aspect le plus glauque de la littérature et de l’histoire médiévales. Dès l’enfance, ils avaient manifesté tous deux des signes de déséquilibre qui les avaient conduits à fréquenter les officines des psychologues. « Schizophrène pervers », telle était l’étiquette à laquelle chacun d’eux avait fini par avoir droit, au terme d’un processus de suivi psychopédagogique qui avait accompagné leur cursus scolaire.
Avec le lycée, la pression des psychologues s’était relâchée, les deux adolescents n’ayant jamais concrétisé de façon coupable leur inclination pour la violence et leur fascination pour les pratiques barbares et sacrificielles. L’entrée à l’université semblait avoir définitivement éloigné de leur univers le spectre de la psychiatrie. C’était sans compter avec l’effet d’entraînement qui, nourri par la réunion de ces deux esprits pervers et l’émulation qui en était résultée, les avaient poussés à extérioriser des pulsions jusque-là contenues. Les tortures infligées à l’un de leurs colocataires, un soir de beuverie, leur avaient valu six mois de prison ferme et un séjour en hôpital psychiatrique.
Loin de les ramener à de meilleures dispositions, cette expérience les avait confortés dans leurs penchants morbides et dans leur haine de leurs semblables. Au terme de leur internement, ils avaient pris la route, espérant rencontrer, dans cette vie d’errance, d’autres compagnons susceptibles de les aider à matérialiser leurs délires. Jusqu’à leur rencontre avec Pat, ils n’avaient réussi qu’à se marginaliser de plus en plus, sans trouver les moyens de concrétiser leurs fantasmes. Manque d’envergure mais aussi d’imagination. Ludovic Marty et Anthony Level n’étaient que des velléitaires, incapables de passer à l’acte sans que quelqu’un leur tînt la main. De menus larcins en petits trafics, faisant à l’occasion la manche, ils s’étaient enfoncés dans une marginalité croissante qui les avait fait s’échouer à Florac, point de ralliement de bon nombre de leurs congénères.
Un jour, Pat avait fait irruption dans leur existence, leur proposant d’accomplir le rêve de leur vie. Ce qu’ils n’espéraient plus allait se réaliser. Pat ! Un nom bizarre. Sans doute, un pseudonyme ou, alors, la contraction de son prénom ou de son nom. Pat avait métamorphosé leur pauvre existence, en faisant d’eux les héritiers de Seguin de Batefol et de Petit Meschin, chefs des Tard Venus, les plus sanguinaires des routiers du Moyen-âge. Ils avaient trouvé le jeu amusant, s’étaient lancés avec avidité dans ce défi. Pat les soutenait, tenait le rôle de chef d’orchestre et pourvoyait à tout. C’était Pat qui décidait du choix des victimes et qui arrêtait les modalités de leur mort. C’était aussi Pat qui recrutait les autres, ceux qui les aidaient, qui venaient d’ils ne savaient où et qui disparaissaient ensuite comme ils étaient venus. Aussi fêlés qu’eux. Toujours les mêmes, c’était la règle. Ils arrivaient à communiquer avec eux, en baragouinant un peu l’anglais. C’était amusant, excitant même, et ils en redemandaient. Les longues périodes qui séparaient deux expéditions leur paraissaient interminables. Tout allait bien jusqu’à ce soir d’été, quinze jours auparavant, quand Pat leur avait désigné comme victimes des enfants. Ils avaient eu du mal à supporter la mort de la petite Johnston. Il n’y avait pas une nuit où ils ne se réveillaient, pris d’une suée, tremblant de tous leurs membres, au souvenir de l’épée qui avait fendue en deux la fillette. Cette image les hantait. Pour la première fois, ils avaient opposé un refus à Pat. Ludovic, le plus faible des deux, avait évoqué la possibilité de se livrer aux gendarmes. Pat les avait menacés.
L’orage venait d’éclater. Une pluie violente fouettait les tôles du toit et des gouttières s’étaient formées. Elles alimentaient des flaques d’eau qui s’élargissaient à vue d’œil. Ludovic et Anthony avaient trouvé refuge sur une plate-forme surélevée, à l’abri de la pluie. C’était là qu’ils avaient installé leur campement, deux matelas de récupération, un vieux réchaud à gaz et quelques ustensiles de cuisine. Ils avaient englouti leur panini, vidé les deux canettes restantes et s’étaient écroulés sur leur couche, abrutis par l’alcool.
Malgré leur état, ils prirent conscience d’une autre présence que la leur dans le bâtiment. Le vacarme de la pluie sur les tôles ne parvenait pas à couvrir le martèlement des pas sur le ciment. La forme qui s’avançait vers eux évitait les flaques d’eau, en sautant régulièrement de côté, sans chercher à être discrète. Dans un effort désespéré, Anthony se leva sur un coude pour voir qui s’approchait.
- Pat ! s’exclama-t-il. Qu’est-ce que tu fous ici ?
Pat grimpa sur la plate-forme et se tint campé devant eux, tenant un révolver à la main. Le premier coup de feu atteignit Anthony en pleine poitrine, le second perfora le ventre de Ludovic qui peinait à se redresser. De l’étui caché sous son imperméable, Pat sortit un couteau et entreprit de terminer sa sordide besogne.

Partager cet article
Repost0

commentaires

R
J,ai beaucoup aimé le déroulement de l,enquète, jeremercie particulièrement l,auteur de ce polar JEAN-MICHEL LECOCK qui ma permis de découvrir et d,apprécier ses talents d,écrivain.
Répondre
D
Toujours pas de nouveau polar à l'horizon :( je patiente et m'impatiente, avez-vous un scoop pour égayer notre été ???
Répondre
M
<br /> <br /> Je n'ai pas bien compris votre message, à savoir évoquez-vous un de mes polars ou celui d'un autre auteur ( Vargas par exemple ) ?. En ce qui me concerne, "Rejoins la meute !" est sorti et<br /> il est disponible sur les sites marchands comme en librairie où on peut le commander. Le manuscrit du suivant, " La maison de cristal" est terminé et sur le point d'être envoyé aux éditeurs.<br /> <br /> <br /> <br />