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11 juillet 2012 3 11 /07 /juillet /2012 17:03

Un nouvel extrait de 24....

par Jean-Michel LECOCQ, mercredi 11 juillet 2012, 17:01 · 

Toujours pour ouvrir l'appétit de celles et ceux qui n'auraient pas encore lu 24...

Paris, le lundi 25 août 1572, 7 heures, le soir,

Paris était à l’image d’un vaste champ de bataille. La fureur qui régnait depuis deux jours ne s’était pas éteinte. Une violence aveugle avait pris possession des rues et s’exerçait jusqu’aux intérieurs des maisons où se terraient les derniers rescapés calvinistes. Aux hommes en armes qui assassinaient quiconque ne pouvait prouver son appartenance à la religion catholique, s’était ajoutée une populace avide de sang. On profitait du carnage général pour régler ses comptes avec ses créanciers, avec ses voisins et, même, avec des membres de sa famille. On pillait aussi. Les orfèvres du Pont-aux-Changeurs en avaient été les premières victimes. Les Argotiers s’en étaient aussi mêlés, voyant le profit qu’ils pouvaient impunément tirer de la situation de chaos dans laquelle était plongée la capitale.

Nicolas Mauclerc n’avait dû son salut qu’à la présence d’esprit de Jacques, l’un des serviteurs de Monsieur de Mondeville qui l’avait entraîné avec lui dans la sous-pente de l’hôtel particulier de la rue Vieille du Temple. Depuis leur cachette, ils avaient entendu les échos de la terrible boucherie qui avait décimé la famille de son protecteur et la plupart de ses gens. Jacques avait quitté la cachette à deux reprises pour aller s’enquérir du sort de ses proches. Il était revenu de sa première sortie, en sanglotant, effondré par le spectacle qu’il avait découvert. Le pasteur avait appris de la bouche de son sauveur que les assassins portaient un signe de reconnaissance, sous la forme d’un foulard blanc noué au bras. La seconde fois, lorsque Jacques était à nouveau ressorti, aux premières lueurs de l’aube, le pasteur ne l’avait pas vu revenir. Le calme rétabli, il était redescendu, un peu avant midi, traversant les étages jonchés de cadavres. Le corps mutilé de Monsieur de Mondeville gisait au beau milieu du hall d’entrée, percé de part en part par les hallebardes des soudards. La demeure avait été pillée et dévastée, comme après le passage d’une armée en campagne. Les corps de son épouse, de ses enfants et de la plupart des serviteurs étaient éparpillés dans la vaste demeure, aussi horribles à voir les uns que les autres tant les meurtriers avaient mis d’acharnement dans leur épouvantable besogne. Le corps de Jacques était étendu au bas de l’escalier, la tête tranchée.

Ne voulant pas supporter plus longtemps ce spectacle, Nicolas Mauclerc se précipita vers le hall où il resta, un long moment, blotti dans l’encoignure de la porte, hésitant à s’engager dans la rue tant elle offrait, elle aussi, le spectacle d’une véritable tuerie et tant elle grouillait encore d’une foule surexcitée. Se rappelant les propos de Jacques, il se ravisa pour remonter dans les étages où il dénicha, dans ce qui restait de linge, un morceau de tissu blanc qui pouvait passer pour un foulard et qu’il noua autour de son bras. Nanti de ce viatique, il se décida à affronter l’agitation de la rue. A voir tous ces excités qui couraient en tous sens, hurlant et brandissant leurs armes rougies du sang de leurs victimes, il se dit que son calme et son apparence devaient détoner au milieu de cette foule, malgré le signe de reconnaissance qu’il portait au bras. Cependant, il n’avait pas le choix. Il lui fallait gagner au plus vite Le lapin agile, une taverne de la rue Saint-Bon où Abel Valembois avait ses habitudes. Il remonta la rue de la Verrerie, en essayant de surmonter son dégoût devant l’amoncellement des cadavres. Peu après le cimetière Saint-Jean, des matrones, traînant derrière elles une tripotée de marmots, s’esclaffaient devant le spectacle d’un orfèvre précipité d’un étage de sa maison et qu’on achevait à coups de pique. Plus loin, au carrefour de la rue du Franc Mourier, une épaisse fumée sortait d’une échoppe. Au beau milieu de sa boutique en flammes, le libraire achevait de rôtir au milieu de ses livres. Devant la maison voisine, une bourgeoise huguenote et sa fille, blessées par des tirs d’arquebuses, étaient achevées à coups de pierres, devant une foule excitée qui applaudissait. A la hauteur de la rue Barre-du-Bec, une bande de gueux tenait le carrefour. Les dix gaillards qui la composaient paraissaient calmes. Ils semblaient attendre quelqu’un. Sans agressivité. Le pasteur ne pouvait les éviter. Le ventre noué par l’anxiété, il s’avança vers le groupe qui lui barrait la route. Un géant qui paraissait commander la bande le prit à partie.

- Tu es bien Nicolas Mauclerc ?

- C’est bien moi.

- Alors, suis-nous ! Abel t’attends comme convenu.

Le pasteur était rassuré. Il suivit les Argotiers qui le guidèrent vers la rue Saint-Bon, indifférents aux atrocités qui jalonnaient leur chemin. On apercevait, entre les maisons, le clocher de Saint-Merri. Un calme relatif régnait sur la petite rue, au milieu de laquelle était situé Le lapin agile. Nicolas Mauclerc pénétra dans le tripot, depuis longtemps aux mains de la Cour des Miracles. Abel Valembois, dont c’était le territoire, en assurait la sécurité, moyennant une rétribution du tenancier, comme il le faisait pour un tas d’autres auberges. La Grenouille invita Mauclerc à prendre place face à lui, de l’autre côté d’une table en chêne aussi crasseuse que les murs de la pièce. A l’exception de Maltourné qui se tenait assis sur un banc près de la porte, les membres de la bande étaient restés à l’extérieur. La taverne était située en contrebas de la rue. On y pénétrait en descendant quelques marches. Il y régnait une fraîcheur bienfaisante qui contrastait avec la fournaise de la rue. Maltourné qui observait discrètement la scène fut étonné de voir un sourire presque tendre éclairer le visage de son chef. Abel Valembois considérait le pasteur avec affection. Cet homme que Maltourné connaissait comme un monstre froid, capable de tuer sans sourciller, indifférent aux malheurs d’autrui et ne faisant que peu de cas de la vie humaine, manifestait, dans l’instant, une sensibilité dont il ne l’eût pas cru capable. Cependant, la distance l’empêchait d’entendre les propos échangés entre les deux hommes.

- Mon père, commença La Grenouille, j’ai accepté de vous rencontrer parce que vous êtes l’une des rares personnes pour qui j’ai du respect dans ce bas monde.

- Ne m’appelle pas mon père, veux-tu ? Je ne suis plus prêtre depuis longtemps.

- A cause de votre nouvelle religion ?

- C’est ça.

- Ce que vous avez fait entretemps ne m’intéresse pas. Pour moi, vous êtes toujours le prêtre qui m’a sauvé quand je n’étais qu’un enfant. C’est pour ça, et uniquement pour ça, que je vous reçois aujourd’hui.

Vingt ans auparavant, alors qu’il était encore prêtre de la paroisse de Saint-Merri, Nicolas Mauclerc avait sauvé le jeune Abel, âgé de onze ans, un jour que son père, ivre, avait entrepris de le tabasser à mort. Il l’avait accueilli à la cure et l’avait confié aux bons soins de sa gouvernante. Le père Valembois, dessaoulé et revenu à de meilleurs sentiments, avait bien tenté de récupérer sa progéniture qui, en mendiant chaque jour sur le parvis de Saint-Merri, était sa seule source de revenu et lui ramenait chaque soir de quoi entretenir son ivrognerie. Nicolas Mauclerc avait fini par décourager le tortionnaire qui avait reculé devant le jeune prêtre décidé et vigoureux qui menaçait de lui casser la tête s’il s’obstinait à persécuter cet enfant. Valembois était mort quelques semaines plus tard d’une vilaine affection du foie. Abel était resté à la cure. La plus heureuse de ce dénouement avait été Marthe, la gouvernante, qui s’était prise d’affection pour ce gamin des rues, laid comme un pou mais dont elle comptait bien faire quelqu’un de convenable. Pendant quelques années, Abel avait grandi entre les mains bienveillantes de cette Bourguignonne débonnaire qui lui avait inculqué les rudiments d’une éducation chrétienne. Puis, un jour, l’enfant était devenu un homme et avait quitté le cocon douillet du presbytère pour rejoindre ses amis dans la Cour des miracles. Découragé, Nicolas Mauclerc avait renoncé à le ramener sur le droit chemin. La même année, il avait abandonné sa cure et avait pris le chemin de la province, pour se réfugier dans un monastère, quelque part dans le sud-ouest. Pour autant, Abel n’avait pas oublié cet homme qui l’avait tiré des griffes de son tortionnaire et il lui en avait conservé une profonde reconnaissance.

Le pasteur abdiqua.

- Admettons, répondit-il.

- Que voulez-vous savoir ?

- Tout ce que tu peux me confier sur l’homme qui t’a commandé les enlèvements de musiciens.

- Vous me demandez de ruiner mon fonds de commerce, mon père ! s’insurgea le truand.

- Parce que tu trouves qu’il s’agit là d’un commerce. Il s’agit de meurtres, Abel ! De meurtres horribles ! Tu as livré des hommes à un monstre. Des hommes qui n’avaient rien fait pour mériter une telle mort.

- Si vous êtes venu pour me faire la morale, mon père, autant arrêter là notre conversation. Chaque jour qui passe, j’estropie ou j’occis des bourgeois pour survivre. Sinon, il n’aurait servi à rien que vous m’ayez protégé de mon père s’il m’avait fallu crever de faim.

- Mais tu étais bien, avec nous, au presbytère. Quelle mouche t’a piqué ?

- Vous ne pourriez pas comprendre, mon père. Je suis né dans la rue. Mes amis vivent dans la rue. La rue est ma famille. Malgré tout le bien que vous avez fait pour moi, l’appel était trop fort. Je n’ai pas pu y résister. Voilà tout ! Et vous, d’ailleurs, pourquoi êtes-vous parti ?

- C’est trop long à expliquer et puis, je ne suis pas sûr que tu pourrais comprendre.

- Vous me prenez pour un imbécile, mon père ?

- Non, Abel. Rassure-toi. Ce sont des histoires de religion, comme tu dis. Voilà tout !

Le pasteur ramena la conversation sur le sujet qui l’avait conduit là.

- Et cet homme, Abel ? Parle-moi de lui.

- Je ne l’ai jamais vu. Je n’ai jamais aperçu son visage. Juste sa silhouette mais il était vêtu d’une cape et sa tête était cachée sous un capuchon. Quand il me donne rendez-vous, c’est dans le confessionnal de Saint-Germain-L’auxerrois. Je n’entends que sa voix.

- Justement, parle-moi de sa voix.

- Il a une voix grave et parle comme quelqu’un qui a l’habitude de commander.

- L’avais-tu déjà entendu auparavant ?

- Jamais !

- Parle-t-il avec un léger chuintement ?

- Oui.

- Lui arrive-t-il de renifler régulièrement comme s’il était enrhumé ?

- Exact, s’étonna Abel, les yeux écarquillés de surprise, avant de poursuivre.

- A vous entendre en parler, on dirait que vous le connaissez, questionna l’Argotier.

- Il se pourrait que oui.

La Grenouille en demeura coi. Il marqua un temps avant d’exprimer sa surprise.

- Vous êtes tout bonnement en train de me dire que vous connaissez l’identité de celui que tous les policiers de Paris considèrent comme l’ennemi numéro un. Vous rendez-vous compte de ce que vous dites, mon père ?

- Bien sûr !

- Dans ce cas, à quoi vous sert-il de me poser toutes ces questions ?

- Pour vérifier, Abel. Pour vérifier.

- De qui s’agit-il ?

- Tu le sauras bien assez tôt. D’ailleurs, je n’en suis pas totalement sûr. Auparavant, il me reste deux ou trois points à examiner avant de me forger une certitude.

A présent, Nicolas Mauclerc savait que ses craintes avaient toutes les chances d’être fondées. Il lui restait un homme à interroger. Un certain Poilblanc, milicien dans le quartier de la colline Sainte-Geneviève. Il fallait faire vite. Un nouveau crime avait sûrement eu lieu la nuit précédente ou alors celle d’avant. Un autre serait commis le mois suivant, à la même date. Le 24. Si le coupable était bien celui auquel il pensait, il finirait bien par réunir suffisamment de preuves pour le confondre. Par ailleurs, sa rencontre avec le bedeau des Cordeliers n’avait rien apporté de nouveau. Martin Séverin était dans un tel état de délabrement physique et mental qu’il avait à peine pu articuler quelques mots, au demeurant presque inaudibles. Il avait invoqué le pardon divin pour les vols mais n’avait consenti aucune révélation susceptible de conforter les soupçons du pasteur. Le pauvre malheureux payait cher son misérable larcin et, de toute évidence, il était totalement étranger aux deux crimes dont on l’avait accusé un peu vite. Du coup, Nicolas Mauclerc en était venu à regretter sa visite au Grand-Châtelet. Si ce n’était déjà fait, cette démarche, finalement improductive, allait sans doute attirer l’attention des autorités et mettre à ses trousses la police prévôtale. Le temps pressait. Il prit congé d’Abel Valembois qui tint à le faire raccompagner jusqu’aux bords de Seine, tant la rue était devenue un véritable abattoir.

- Avec nous, vous ne craindrez rien, mon père, avait assuré La Grenouille dont les hommes, armés jusqu’aux dents, s’étaient déployés autour du pasteur pour remonter la rue Saint-Bon, puis la rue Saint-Jacques, en direction de la Planche Mibray qui permettait d’accéder à l’Ile de la Cité. En sortant du Lapin agile, le pasteur remarqua un homme vêtu de sombre, le visage encapuchonné, qui paraissait attendre quelqu’un à l’entrée de la rue Saint-Bon. Lorsqu’il se retourna une nouvelle fois, la silhouette avait disparu.

Poilblanc demeurait rue des Lavandières, dans un logis situé au premier étage, juste au-dessus de sa boucherie. Nicolas Mauclerc n’était pas assuré de le trouver chez lui, tant les miliciens étaient affairés à traquer les Calvinistes et, après la mort de Delforti, Mathieu Poilblanc, son fidèle second, avait été nommé chef de la milice de la Montagne Sainte-Geneviève. Il avait mis dans ce commandant tout fraîchement échu l’engagement total que lui inspirait sa haine des Réformés, au compte desquels il avait mis la mort de son meilleur ami. Sa boucherie était fermée pendant que son valeureux propriétaire traquait le Huguenot dans les moindres recoins de la capitale. La Grenouille et sa bande abandonnèrent le pasteur à l’entrée de la rue de Garlande dans laquelle un semblant de calme était revenu. Nicolas Mauclerc accéléra le pas pour franchir les quelques quatre cents coudées qui le séparaient du domicile de Poilblanc.

La porte du couloir, jouxtant la boutique et conduisant dans un réduit où Poilblanc devait dépecer ses bêtes et préparer sa viande, était entrouverte. Il s’y engagea et entreprit de grimper l’escalier à vis, à la pierre creusée par les milliers de pas qui l’avaient foulée. La porte du logis était également ouverte. Le bruit d’un râle lui parvint de l’intérieur. Dans la lumière rasante que projetait une fenêtre, il aperçut deux corps allongés sur le dos, au beau milieu de la pièce. Le sol était couvert de sang. Nicolas comprit que la femme était morte, percée de part en part par une broche qui avait sans doute appartenu à son époux. Poilblanc n’était pas en bon état mais il respirait encore. Sans doute ses assassins n’avaient-ils pas eu le temps d’achever leur besogne ou, alors, peut-être avaient-ils cru leur victime morte. Il allait se pencher sur le pauvre boucher lorsqu’il entendit un pas dans l’escalier. Il arriva à la fenêtre juste à temps pour apercevoir une haute silhouette noire disparaître à l’angle de la rue des Noyers. La même que celle entrevue en sortant du Lapin agile. L’assassin ! Ou l’un des assassins. Il eut le sentiment de connaître cette silhouette. Ses soupçons se confirmaient. Il se demanda comment l’homme avait pu le devancer chez le boucher, au point d’avoir le temps de l’assassiner. Il revint auprès du mourant. Poilblanc geignait sans pouvoir articuler le moindre mot, tandis qu’avec la paume de sa main, il tentait vainement de retenir le sang qui coulait d’une méchante blessure au ventre. Le pasteur se pencha sur lui. Il était étonnant de trouver le chef de la milice assassiné comme un vulgaire Calviniste, au moment où celui-ci était précisément chargé de les exterminer et alors qu’il portait encore au bras un foulard en tous points semblable à celui de Mauclerc. De toute évidence, il ne lui restait plus à vivre que quelques instants d’agonie. Une question de minutes. Le pasteur comprit qu’il ne pourrait rien tirer de cet homme dont le souffle s’éteignait progressivement et dont les paupières demeuraient à présent irrémédiablement closes.

Il allait quitter les lieux lorsqu’il avisa, au sol, sur la gauche du milicien, à hauteur de sa cuisse, une curieuse traînée de sang dont le tracé s’apparentait à des caractères d’écriture. En se penchant davantage sur le corps à présent sans vie du boucher, il crut reconnaître, écrit de façon malhabile mais cependant aisément identifiable, le nom de l’une des plus grandes et des plus honorables familles du royaume : Gondi. A n’en pas douter, le meurtre du boucher n’avait rien à voir avec les massacres qui frappaient la communauté huguenote. Celui ou ceux qui avaient surpris dans son logis le chef de la milice pour le tuer étaient portés par d’autres motivations que Nicolas Mauclerc devinait. Le tueur ou ses sbires savaient que Poilblanc avait été témoin de la découverte de la dague à Saint-Séverin, comme Mauclerc lui-même en avait été informé. Le scarificateur, puisqu’il fallait bien le nommer ainsi, faisait disparaître tous les témoins susceptibles d’identifier la dague qui, comme la plupart des armes blanches, devait porter sur son manche le blason de son propriétaire. Cela avait commencé avec Delforti et se poursuivait avec Poilblanc. Nicolas Mauclerc savait que le prévôt était en possession de l’arme puisque le chef de la milice la lui avait remise le jour même. Le curé de Saint-Séverin, dont il avait recueilli les confidences, avait été formel : Delforti avait remis à Desmeliers ce qui ressemblait à une dague mais, de là où il se trouvait, le prêtre n’avait pu percevoir aucun détail. Comme le pasteur, il avait été surpris que cette découverte ne fût mentionnée nulle part. Personne n’avait entendu parler de cette dague, sauf quelques proches de Delforti et de Poilblanc qui avaient eux-mêmes payé leur indiscrétion au prix fort. Dans ces conditions, tout devenait possible et les hypothèses affluaient dans l’esprit de Mauclerc. Qui avait bien pu assassiner le chef de la milice ? Il pensa tout d’abord à un possible règlement de comptes qui aurait expliqué la non prise en compte du signe de ralliement que le milicien portait au bras. Cependant, le pasteur ne parvenait pas à accorder un réel crédit à cette idée. Il songea ensuite au prévôt dont le silence au sujet de la dague pouvait s’interpréter comme un indice, sinon de culpabilité, du moins de complicité et c’était peut-être un de ses hommes, sinon lui-même, qui avait trucidé le boucher. Mais, cette hypothèse paraissait trop invraisemblable. La famille Gondi occupait les plus hautes fonctions dans le royaume et le prévôt Desmeliers, en homme avisé, avait probablement voulu éviter un scandale aux conséquences incalculables, surtout en ces temps troublés où un rien pouvait faire vaciller le pouvoir. Peut-être même avait-il reçu des ordres de sa hiérarchie ! Dans ce cas, on pouvait supposer que Poilblanc, dans un reste de lucidité et avec l’énergie du désespoir, avait cherché, en écrivant ce nom, à désigner la famille dont les armes figuraient sur la dague. A moins qu’il ne se fût agi d’un subterfuge de son meurtrier. En effet, il était tout aussi possible que le ou les assassins aient eux-mêmes tracé ce patronyme afin de détourner les soupçons. Mais, dans ce cas, pourquoi avoir écrit ce nom aussi près du corps de la victime dont le sang était appelé à s’écouler en abondance et risquait de recouvrir cette tardive confidence ? Quelle que fût la vérité, il ne pouvait être question de la taire mais qui pourrait croire un misérable homme d’église, de surcroît passé à une cause maudite ?

Le sang, qui, à présent, s’écoulait en abondance du ventre de Poilblanc, commençait à noyer le pathétique témoignage griffonné sur le sol. En quelques instants, le nom de la prestigieuse famille de Gondi disparut sous une épaisse tache qui commençait à virer au brun. La seule preuve, si tant est qu’elle en fût réellement une, venait de s’effacer. A présent, il fallait gagner de toute urgence le presbytère de la rue Saint-Séverin, afin de prévenir le père Caumont dont la vie était désormais en danger, comme celle de tous ceux qui avaient eu la malchance de pénétrer dans son église la nuit du 24 mai. Un bruit de bottes dans la rue finit de décider Mauclerc à quitter les lieux. Même en ces temps, où massacrer était devenu une occupation banale, le risque qu’on le soupçonne d’avoir assassiné le chef de milice ne pouvait lui attirer que les pires ennuis. Il dévala les escaliers et disparut dans le jardin situé à l’arrière de la maison.

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