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10 août 2012 5 10 /08 /août /2012 10:45

    Je viens d’entamer « Robe de mariée », de Pierre Lemaître. Le début est plutôt prometteur. On y découvre d’entrée de jeu une jeune femme qui, depuis un moment déjà, se sent glisser vers la folie. Tout cela a commencé par des étourderies puis par des moments d’absence un peu plus marqués, avant d’entrer dans ce qu’on appelle un désordre mental profond. Un jour, alors qu’elle fait du baby-sitting, elle découvre le corps sans vie de l’enfant qu’elle était censée garder. Le petit garçon a été assassiné. La jeune femme s’enfuit et, dans une cavale échevelée, toujours aux prises avec sa folie, elle va essayer d’échapper aux recherches. La suite, je vais la découvrir et je consacrerai sans doute à ce livre une chronique sur mon blog. Ce qui m’a conduit à en parler, c’est que la folie est un thème qui a fait réellement son entrée dans mes romans avec l’écriture du quatrième, le prochain à paraître, qui s’intitule « Portrait-robot ». Le premier chapitre, que j’ai par ailleurs publié sur ce blog                ( dans la rubrique Mes romans : extrait de mon prochain polar ), présente une jeune femme échappée d’un hôpital psychiatrique et qui, dans sa folle cavale, abat cinq hommes qu’elle croise sur son chemin. Elle sera le personnage central du roman.

    Je renoue avec la folie dans l’opus suivant, intitulé « Rejoins la meute », mais la folie n’y est pas traitée de la même façon puisqu’elle n’apparaît qu’à la fin de l’histoire. Par contre, elle revient en force dans le sixième dont je n’ai pas encore trouvé le titre définitif et qui est actuellement en chantier. La folie s’y invite sous les traits d’un policier victime d’amnésies partielles qui ne sait si les cadavres qui parsèment son itinéraire sont ou non les victimes d’une pathologie mentale pour laquelle il a été soigné quelques années plus tôt. Il convient d’ajouter à cela que mon premier roman « Le secret des Toscans » avait été remarqué et salué sur un site dédié à la psychiatrie, sans doute parce que j’y mettais en scène des personnages atteints de schizophrénie et que j’y brossais le portrait d’un psychiatre plus vrai que nature.

    Je dois reconnaître que cet univers de la psychiatrie m’a toujours fasciné car il a accompagné une trentaine d’années de ma vie professionnelle. J’ai côtoyé pratiquement tous les acteurs de ce monde si particulier, depuis l’infirmier jusqu’au médecin psychiatre, en passant par les psychologues de tous poils, cliniciens ou cognitivistes, les émules de Freud ou de Lacan, sans oublier la masse des techniciens qui gravitent autour de cet univers, de l’assistance sociale aux rééducateurs. J’y ai rencontré des gens extraordinaires qui m’ont beaucoup appris mais j’y ai croisé aussi des charlatans, des faiseurs d’illusions, qui m’ont amené à prendre mes distances avec une discipline qui n’a rien d’une science exacte. J’ai présidé des commissions où siégeaient côte à côte pédopsychiatres, éducateurs, psychologues, rééducateurs et pédagogues. J’ai vu l’infirmier se prendre pour le médecin et le médecin s’imaginer pédagogue et, à l’inverse, le pédagogue tenter de se glisser dans les habits du psy. Je réinvestis dans mes polars les acquis de cette expérience. Ainsi, dans « Portrait-robot », je décris une infirmière psychiatrique qui entreprend, à l’insu de son chef de service, une relation psychothérapique avec l’une de ses patientes. Dans un autre ordre d’idée, j’ai croisé des psychiatres qui tenaient l’Ecole pour un milieu pathogène et n’avaient de cesse que de la combattre au lieu de la traiter comme un partenaire. Mais j’ai également été le témoin des errements de l’Ecole, de sa suffisance et de son comportement hégémonique. J’ai illustré ces deux aspects d’un même conflit toujours dans « Portrait-robot » où, d’une part, je consacre un chapitre à un psychiatre hospitalier qui n’aurait pas déparé avec ceux que j’ai croisés dans mon itinéraire professionnel et où, d’autre part, je brosse le tableau, là encore plus vrai que nature, d’une Education nationale aux tentations totalitaires, tenant sous son joug la vie des êtres qui la fréquentent ou qui croisent sa route. Mon sixième roman est encore un thriller qui ne fait pas exception à la règle et j’essaye de soigner tout particulièrement les passages où mon personnage, à la première personne, fait état des troubles que provoque sa maladie mentale, ainsi que des doutes et des interrogations intimes qu’elle génère. On y retrouvera un psychiatre, expert auprès des tribunaux et de la police.

    On déduira de tout cela que la folie, si elle ne m’a pas encore attaquée ( affirmation peut-être imprudente et un peu rapide ), grignote en tout cas l’univers de mes romans. J’essaye par l’écriture, sinon de l’apprivoiser, du moins d’explorer ses arcanes pour, si je reprends les propos de l’un de mes personnages, chercher à « comprendre l’incompréhensible ». Je prends un indicible plaisir à rédiger ces passages, je suis porté par une sorte d’euphorie qui devrait m’inquiéter car je commence à vivre mon sujet comme un monde familier, à m’y trouver bien, à banaliser cet univers comme si chacun d’entre nous pouvait, à tout instant, devenir un personnage de thriller. La limite entre l’équilibre et le déséquilibre est sans doute beaucoup plus ténue qu’on ne pourrait le penser. Prendre la peau d’un psychopathe, le temps d’un roman, quoi de plus attirant, de plus facile et de plus excitant ? Comme si l’on explorait l’autre face de notre être. Comme si Docteur Jeckill s’immisçait dans le subconscient de Mister Hyde. Et toi, lecteur, lectrice, ressens-tu le même plaisir à cet exercice ?

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5 août 2012 7 05 /08 /août /2012 19:50

Le mois dernier, je me suis rendu à Moissac pour la première fois. Je voulais découvrir un site magnifique dont j'avais fait, sans le connaître autrement que par sa renommée, le théâtre de l'un des chapitres de 24, mon récent thriller. Quelle ne fut pas ma surprise lorsque j'ai découvert l'enseigne du restaurant qui fait face au portail de l'abbatiale ! Cet établissement s'appelle "Le Florentin", le surnom même du personnage principal de mon roman, Vincenzo, originaire de Florence. Je n'étais jamais allé à Moissac et j'ignorais totalement ce détail. Un jour peut-être, si mon roman connaît une certaine notoriété, un esprit facétieux avancera l'idée que le nom de ceLe-Florentin--2-.jpg restaurant a pour origine le personnage de mon livre. Mieux encore : que le Florentin a bien fait étape dans cette ville en 1572, à la recherche des clefs du mystère de 24. Qui sait ?  Quand la fiction rejoint et parfois dépasse la réalité...

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2 août 2012 4 02 /08 /août /2012 11:35

Un extrait de " Rejoins la meute " ....

par Jean-Michel LECOCQ, jeudi 2 août 2012, 11:29 · 
Vos changements ont été enregistrés.

Dans une série, on désigne celui qui vient avant le dernier par le terme d'avant-dernier et le précédent par le terme d'anté-pénultième. Jusque là, c'est simple. Quand on procède dans l'autre sens et qu'on anticipe, on nomme celui qui vient après le dernier, le suivant. Mais, comment appelle-t-on celui qui vient après le suivant ? Si l'on s'en tient à l'étymologie latine de notre langue, on devrait adopter le préfixe post- qui est l'antonyme de anté- et le désigner par le vocable post-suivant ou encore le post-prochain, mais comment nommer celui qui vient encore après ? A moins que d'être victime d'une lacune sémantique fâcheuse pour un romancier, c'est un casse-tête auquel je suis confronté car j'ai presque trois manuscrits d'avance par rapport au dernier publié. J'ai donc décidé de me simplifier la vie en les ordonnant selon l'ordre mathématique de leur apparition : 1er, 2ème, etc... Le dernier paru étant le 3ème, voici un extrait du 5ème, à paraître vraisemblablement vers la fin 2013....A moins que....

Mes personnages, des policiers, se retrouvent à Florac pour enquêter sur des massacres commis dans différents endroits des Cévennes. Ils viennent de débarquer et le commissaire Payardelle se rend dans la boutique tenue par l'une des victimes. Je me suis régalé à composer cette description.

" Ils remontèrent vers le haut de la ville, en longeant un petit canal, le long duquel s’étaient installés des vendeurs de colifichets. Marthe, qui se croyait sans doute en vacances, fit l’acquisition d’un petit pendentif en bois de noyer qu’elle se passa immédiatement au cou.

- Après tout, tu as raison, lui fit remarquer Théo, il vaut peut-être mieux qu’on nous prenne pour des touristes. Ainsi, nous passerons plus facilement incognito. Pour l’instant ! ajouta-t-il, car il va falloir rapidement tomber les masques. Nous sommes là pour enquêter et nous ne pouvons éternellement rester de simples observateurs.

Marco s’approcha de lui.

- De toute façon, c’est trop tard. Nous sommes repérés. Regardez, là-bas, le petit groupe, devant le bar.

Ils étaient arrivés devant la fameuse Fontaine du Pêcher. La rivière restait prisonnière quelques instants d’un petit barrage, avant de laisser ses eaux tumultueuses se jeter en aval dans un déversoir qui filait au travers de la ville. Dans cette retenue aux eaux limpides, grouillait une multitude de truites, entre les longues chevelures des herbes que le courant faisait onduler. Un peu plus loin, installés à la terrasse d’un café, se tenaient cinq hommes qui les observaient d’un œil peu engageant. C’était à eux que Marco faisait allusion. Marthe s’était approchée.

- Tu n’es pas un peu parano, Marco ? Tu crois réellement qu’ils parlent de nous ? Qu’ils ont deviné que nous étions des flics ?

Marco n’eut pas le temps de répondre. Théo s’en chargea.

- Ma petite Marthe, je ne te savais pas aussi naïve. Ces gens-là reniflent un flic à des kilomètres à la ronde. Même nous, avec une soutane, et toi en tenue de Dominicaine, ils nous auraient repérés et identifiés comme flics. Et je peux te dire que ceux-là ne les aiment pas, les flics, même quand ils s’appellent César !

Le dénommé César marchait à dix mètres devant eux, le nez en l’air. Avec son pantalon qui lui tombait au bas des fesses et qui laissait voir le haut de son slip et son blouson pourri sur le dos duquel était floquée une inscription gothique, il n’avait en principe rien de l’image normale d’un flic. Sa démarche nonchalante lui conférait une décontraction qui cadrait bien avec son âge et avec sa personnalité. Il se sentait bien dans cet environnement et il avait défendu les routards lorsque Marco leur avait manifesté son antipathie. Pour autant, Théo savait de quel côté serait résolument ce gaillard-là si, d’aventure, un accrochage les opposait aux routards. Il serait avec ses collègues, aux côtés de Marco, comme un bon petit soldat. Il était flic jusqu’au bout des doigts. Théo redoutait le moment où il faudrait pénétrer cet univers dans lequel, il en était convaincu, se trouvait, sinon la clef, du moins l’une des clefs de leur affaire. En attendant, ils auraient à affronter les regards hostiles et à supporter quelques quolibets. Rien de plus classique. C’était sans importance. Tous les flics du monde y étaient confrontés à un moment ou à un autre. Mais, le jour où ils allaient devoir pénétrer sur le territoire de ces marginaux pour jeter sur eux un regard inquisiteur, là, ils joueraient avec le feu. Les regards des types attablés sur cette terrasse en disaient long sur leur détermination à ne pas laisser quatre flics isolés venir les bousculer.

Lorsqu’ils passèrent à la hauteur du café, quelques moqueries fusèrent. Théo retint Marco par le bras. Il était d’autant plus indifférent aux onomatopées affligeantes des quatre abrutis avinées auxquels il n’avait prêté aucune attention qu’il venait d’apercevoir, là, juste devant lui, à vingt mètres à peine, la vitrine la plus extraordinaire qu’il eût jamais vue : celle du magasin de feu Armand Dutilleul, la Mecque des confitures. Comment, à si peu de distance, la grossièreté et la bêtise pouvaient-elle voisiner avec tant de beauté et de délicatesse ?

L’intérieur du magasin était beaucoup plus vaste que ne le laissait présager la taille de la façade. Tout en longueur, le magasin renfermait un stock impressionnant de pots, soigneusement disposés sur des étagères et minutieusement classés par fruits, par années et par origine, le tout sous des voûtes centenaires. Des pêches du Roussillon aux mirabelles de Lorraine, en passant par les fraises de Bretagne ou les cerises d’Alsace, tous les fruits des vergers français étaient réunis là, sous la forme de confitures et de gelées prêtes à satisfaire les palais les plus divers et les plus subtils. Trois jeunes filles, en robe blanche sur laquelle était passé un tablier orangé aux armes de la maison Dutilleul, allaient et venaient, souriantes, pour guider dans leurs choix les nombreux clients qui occupaient la boutique. Une quatrième se tenait sagement derrière un comptoir, sur lequel étaient disposés de minuscules pots de dégustation qu’elle ouvrait à la demande, selon le goût des clients à qui elle tendait, autant que de besoin, de petites cuillers de plastique dont la couleur était assortie à celle de son tablier. Le centre du mur situé derrière le comptoir était occupé par une immense affiche reproduisant la couverture du Traité des confitures de Michel de Notre-Dame. Théo se rassasiait de l’ineffable beauté de cet endroit dont, jusqu’alors, il n’avait trouvé l’équivalent qu’en Angleterre, à Lincoln, dans une vieille boutique de bonbons et de friandises en tous genres.

Le malheur était vraiment insaisissable ou, alors, il était trop prévisible. C’était selon. Pourquoi le destin avait-il frappé cette famille qui était faite pour la réussite et le bonheur ? Un commerce prospère, une vie bien réglée, une passion dévorante pour son travail qui empêchait Dutilleul de s’ennuyer et de s’interroger sur l’avenir, dans une petite ville provinciale en diable, où la vie coulait paisiblement comme l’onde claire du Tarn et où la paix semblait aussi inébranlable que les rochers noirs qui surplombaient la cité. Seulement, il y avait la confiturerie et ses maudites cuves. Si Dutilleul avait été électricien, plombier ou même simple marchand de confitures, voire confiturier à l’autre bout de la France, jamais le malheur ne se serait intéressé à lui. Mais, voilà, Armand Dutilleul faisait cuire ses fruits à Florac et c’était à Florac que le Diable avait eu besoin d’un creuset où sacrifier une vie. La sienne. Le petit commis avait été aspiré dans le tourbillon du destin. Théo était convaincu que la personnalité et la vie des victimes n’avaient aucune importance et n’étaient nullement à l’origine des meurtres. Ces pauvres malheureux n’avaient été que des victimes aléatoires d’un dessein qui les dépassait. "

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2 août 2012 4 02 /08 /août /2012 09:36

Un extrait de mon prochain polar...

par Jean-Michel LECOCQ, jeudi 2 août 2012, 09:35 · 

A paraître vraisemblablement debut 2013...

Le foyer Saint-Vincent ressemblait à un établissement thermal. Nichée au fond d’un parc profond peuplé de châtaigniers, au bout d’une allée de gravier blanc, une immense bâtisse à la façade ponctuée de trois rangées de colonnades s’offrit à la vue de la jeune femme. Elle était en retrait d’une immense esplanade à laquelle on accédait par un escalier monumental. A l’ombre d’un déambulatoire, assis côte à côte, sur une longue banquette de bois, à demi-cachés par les colonnes aux motifs doriques, des pensionnaires prenaient l’air. Quelques-uns s’étaient aventurés en plein soleil pour goûter à la douceur de cette belle journée de printemps. Sahra chercha à retrouver parmi eux le vieux brocanteur. Après seulement quelques années, il ne devait pas avoir changé au point de ne pas pouvoir le reconnaître. Une infirmière croisa son chemin. Elle se décida à l’interpeller.

- Je viens rendre visite à monsieur Giordano, Charles Giordano. Savez-vous où je peux le trouver ?

L’infirmière le connaissait.

- Il est dans sa chambre, au premier. Il n’en sort pratiquement plus. Chambre 154. L’ascenseur est au fond du hall.

Le hall était à l’image de la bâtisse : monumental. Sahra négligea de s’adresser à l’accueil où, au demeurant, deux employées semblaient débordées par des familles en quête de renseignements. La chambre de Charles Giordano se trouvait en face de l’ascenseur. Entrouverte, elle paraissait plongée dans l’obscurité. Bien que la fenêtre donnât au nord, les rideaux étaient tirés et la jeune femme dut attendre que sa vision se fût accommodée à la pénombre pour apercevoir, installé dans un fauteuil, un homme qui somnolait.

- Monsieur Giordano, chuchota-t-elle à plusieurs reprises, en s’approchant du vieil homme.

Elle ne le reconnut qu’au moment où il ouvrit ses yeux pour la contempler d’un air hébété.

- Qui êtes-vous ? demanda-t-il.

- Sahra Manet, celle qui vous a racheté votre magasin.

Il y avait de quoi être inquiet. Le vieillard – car son état physique et l’atonie de sa voix ne laissaient rien présager de bon quant à son état intellectuel – se redressa légèrement pour mieux voir celle qui lui rendait visite. Soudain, son visage s’illumina d’un sourire qui le fit rajeunir.

- Je vous reconnais, dit-il. Vous avez repris mon dépôt-vente. C’est gentil de venir me voir. Je ne vois pas grand monde. Ma fille ne vient qu’une fois par semaine, le samedi ou le dimanche, ça dépend.

Il faisait pitié à voir, recroquevillé dans une vieille robe de chambre en pilou, trop grande pour lui et usée jusqu’à la corde. Sa famille ne semblait pas s’en préoccuper beaucoup. Sahra sortit de son sac la boîte de macarons achetée le matin même et la lui tendit. Une larme coula sur la joue du vieillard et, de ses lèvres desséchées, elle crut entendre sortir un « Merci, c’est très gentil », plein de trémolos. Elle s’assit sur le bord du lit pour engager la conversation.

- Pourquoi ne sortez-vous pas de votre chambre pour prendre l’air ? Il fait bon dehors. Voulez-vous que je vous accompagne dans le parc ? lui proposa-t-elle en avisant le fauteuil roulant rangé de l’autre côté du lit.

- C’est ma phlébite qui m’empêche de me déplacer. Je pourrais prendre mon fauteuil mais je suis trop faible pour le manœuvrer. Je dois demander de l’aide et j’ai l’impression de déranger.

Sahra l’aida à se lever et, tant bien que mal, parvint à l’installer dans le fauteuil. Le vieux brocanteur semblait transporté de plaisir.

- Vous êtes aussi gentille que vous êtes jolie, lui lança-t-il, profitant de l’intimité de l’ascenseur, craignant sans doute d’être entendu par les autres pensionnaires ou par le personnel.

Sahra reprenait espoir. Même grabataire, un vieux qui vous fait la cour ne peut pas avoir perdu toutes ses facultés intellectuelles. Elle choisit de l’emmener à l’ombre d’un arbre, à l’écart des autres pensionnaires et à proximité d’un banc, pour une interview dont elle attendait beaucoup. Une vieille arc-boutée sur sa canne passa à proximité et s’arrêta quelques instants pour leur parler du temps, des bienfaits des promenades dans le parc, de sa surprise de le voir ici, lui qui ne sortait jamais, pour lui demander si la jeune femme qui l’accompagnait était sa fille ou sa petite fille, si elle avait fait beaucoup de route pour venir le voir, que ça le changeait de son autre fille qui ne le sortait pas et qui ne restait jamais longtemps. Sahra vit venir l’instant où elle allait s’asseoir sur le banc pour prolonger son bavardage. Enfin, la vieille s’éloigna.

- C’est une emmerdeuse, lâcha le père Giordano. Elle n’arrête pas de jacasser et d’enquiquiner tout le monde. Une véritable pipelette et une langue de vipère. Je préfère de loin votre compagnie. Mais qu’est-ce qui vous amène ici ?

- Rien de grave, monsieur Giordano, rien de grave. Juste quelques objets que j’ai vendus et dont je ne connais pas le propriétaire. De ce fait, je ne peux pas lui reverser sa part de la vente. Je voulais savoir si vous saviez où le trouver.

- Et vous avez fait toute cette route rien que pour ça ?

Sahra était honteuse d’avoir menti à ce vieil homme. Elle n’avait trouvé que ce pitoyable mensonge comme seule explication plausible à sa venue. Et tout cela pour s’apercevoir que cet argument était irréaliste et que le vieux brocanteur n’était pas dupe.

Elle décida de jouer franc jeu. Le vieux bonhomme méritait ce respect.

- En vérité, le nom du propriétaire de ces objets est mentionné dans Var-Matin dans un article consacré aux meurtres commis en Dracénie.

- C’est vrai qu’il s’en passe de belles là-bas ! s’exclama-t-il. J’ai suivi ça à la télé. Une drôle d’histoire !

- Une drôle d’histoire, en effet. Mais mon client n’a peut-être rien à voir avec ces meurtres.

Le vieux brocanteur posa sa main sur son bras.

- Et comment s’appelle-t-il votre bonhomme ?

- Laffont. Antoine Laffont. Vous souvenez-vous de lui ?

- Et comment que je m’en souviens ! Un drôle de type que ce client-là !

Sahra jubilait. Le père Giordano n’avait pas perdu la mémoire. Mieux. Ce Laffont l’avait marqué. Elle se préparait peut-être à apprendre un tas de choses sur ce type.

- Parlez-moi de lui. Vous souvenez-vous de son adresse ?

- Si je vous dis que c’était un drôle de type, c’est bien pour ça. Il a refusé de me communiquer son adresse, m’a juste donné un numéro de portable. J’ai eu l’impression que ce gars-là se débarrassait de ses meubles et se moquait de savoir s’ils seraient vendus ou pas. J’ai eu l’impression qu’il liquidait tout pour s’enfuir, sans qu’on puisse le retrouver grâce aux déménageurs. Ça se lisait sur sa figure. Pas franc du collier. Et triste. Oui, triste, comme un type qui vient de traverser un grand malheur. Il avait peut-être perdu un enfant car il y avait plein de jouets dans le lot. C’est bien ça ?

- C’est bien ça !

Le vieux avait une mémoire impressionnante et un sens de l’observation étonnamment développé. Fin psychologue, le père Giordano ! Il devait en savoir plus.

- Ce n’est pas vous qui êtes venu chercher le lot de meubles et d’objets chez lui ?

- Non. Il m’a dit qu’il possédait une camionnette et qu’il m’apporterait tout lui-même. Même pas un copain ou un parent pour l’aider. Il n’a même pas discuté des prix qu’il souhaitait. « Faites pour le mieux », qu’il m’a dit. Ça voulait dire « Je m’en fous ». Vous pouvez vendre tout ce capharnaüm et empocher l’argent. Vous ne le reverrez jamais.

Sahra hésita quelques secondes.

- Et pour cause, lui répondit-elle, si c’est bien lui, il est mort il y a quinze ans, assassiné avec sa femme. Par leur fille.

- C’est parce qu’ils lui avaient piqué ses jouets, plaisanta le vieux, en riant à gorge déployée.

« Facétieux avec ça ! », se dit Shara, de plus en plus épatée par l’ancien brocanteur.

- Et vous n’avez aucune idée de l’endroit où il habitait ?

C’est alors que la jeune femme qui avait imaginé être au bout de ses surprises resta bouche bée en entendant la réponse du vieil homme.

- J’ai peut-être une petite idée là-dessus. Je veux bien vous la confier si vous allez m’acheter en douce un paquet de cigarettes. Et des allumettes.

Il y avait des jours comme celui-là où il fallait s’attendre à tout. Allait-elle céder à ce qui ressemblait à un caprice de vieillard sénile ? Et s’il mettait le feu à sa chambre ? L’espace d’une seconde ou deux, elle hésita. Qu’allait-il exiger d’autre à son retour ? Qu’elle lui montre sa culotte ou, pire, qu’il exige de toucher son intimité ? Une de ces lubies de vieillard priapique, même pas vicelard mais tout simplement déphasé. Elle finit par s’exécuter.

- Je reste là à vous attendre. Des brunes, lui lança-t-il, alors qu’elle s’éloignait. Sans filtres surtout !

A son retour, Giordano était toujours là. Il s’était même assoupi. Elle glissa discrètement le paquet de cigarettes ainsi que la boîte d’allumettes entre la cuisse du vieux et le rebord du fauteuil. L’ancien brocanteur se réveilla et lui adressa un sourire de reconnaissance.

- A présent, j’ai bien mérité que vous me répondiez. Savez-vous où il habitait ?

- Il n’était pas bien futé. Il est venu déposer son bric-à-brac avec sa camionnette. Sur le côté, il y avait encore les traces d’une inscription. Vous savez, avec ces lettres autocollantes. Elles avaient été arrachées mais on devinait encore leur trace. Domaine Saint-Pierre. C’est à Figanières.

- Vous en êtes vraiment sûr ?

- Et comment ! répliqua Giordano. Quand j’ai réussi à vendre un ou deux bibelots, j’ai téléphoné là-bas pour essayer de le contacter et de lui verser sa part sur la vente. On m’a répondu qu’il avait disparu. C’était le régisseur. Il occupait un vieux corps de ferme où était installé le chai et où il logeait. On m’a dit qu’un jour il avait disparu brutalement avec sa famille, sans donner d’explications et qu’on ignorait où il était allé.

- Et ce domaine, comment s’y rend-on ?

Le vieux la considéra avec un peu d’inquiétude dans le regard.

- Ma jolie, si comme vous me l’avez dit, ce type trempe dans une affaire criminelle, vous devriez être prudente. Qu’est-ce que vous allez faire là-haut ? Mener votre enquête ? A quoi ça vous mènera ? Vous ferez mieux d’aller voir la gendarmerie.

Sahra ne put faire autrement que de lui retourner un sourire désabusé.

- Vous savez, monsieur Giordano, dans ma vie, je n’ai jamais été capable du mieux. Quand j’excellais, j’étais tout juste capable du moins mal. Et puis les gendarmes, c’est une espèce qui ne m’a jamais porté chance. Alors, j’ai appris à me passer d’eux quand j’avais des soucis et à me débrouiller seule. J’ai un ami qui a des ennuis à cause de cette affaire. Je cherche à l’aider. Voilà tout ! C’est gentil de vous soucier de moi mais ne vous inquiétez pas. Je ne risque rien.

Le vieil homme lui retourna son sourire, avec au fond des yeux, comme le regret de toute une vie.

- Quand j’étais jeune, c’est une femme comme vous qu’il m’aurait fallu, plutôt que Geneviève, cette bonne à rien qui m’a laissé tomber, après m’avoir fait cette fille qui s’occupe à peine de moi et qui refuse de m’apporter des clopes. Vous, vous êtes quelqu’un. Votre ami a de la chance.

Giordano lui donna des indications apparemment suffisantes pour trouver sans difficulté le domaine Saint-Pierre. Sahra quitta la pièce après un ultime petit geste de la main. Elle y avait mis toute la tendresse dont elle était capable. Un remerciement en même temps qu’un adieu.

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1 août 2012 3 01 /08 /août /2012 10:04

Un nouvel extrait de mon récent thriller : 24 ...

par Jean-Michel LECOCQ, mercredi 1 août 2012, 10:02 · 

Paris, le samedi 25 septembre 1572, 7 heures, le matin,

Cela faisait près de vingt ans que Jean Le Fleurinier exerçait son métier de fossoyeur. Durant ces années, il avait mis en terre près de la moitié des habitants du quartier des Halles. Le cimetière des Innocents était son terrain d’élection. Il y assurait la majeure partie de son office et y possédait une petite cabane où il remisait ses outils. En cette fin du mois de septembre, il pouvait enfin souffler un peu. Les massacres de la fin août l’avaient contraint à travailler deux fois plus longtemps que d’ordinaire. Ses journées de labeur démarraient avec le lever du soleil et ne s’arrêtaient qu’avec le couvre-feu, sous une chaleur accablante. Même si la plupart des corps, non identifiables, avaient été transportés hors des murs de la ville pour y être incinérés dans des fosses communes, de nombreuses familles avaient fait inhumer les leurs dans le cimetière de leur quartier. Celui des Innocents desservait les trois paroisses de Saint-Germain-L’Auxerrois, Saint-Eustache et Saint-Opportune, ce qui suffisait à en faire le plus grand de Paris. Jean Le Fleurinier n’avait pas chômé. Cela avait duré plusieurs semaines, tant la recherche des victimes était laborieuse et leur identification difficile. Il fallait attendre que les familles reconnaissent les corps avant d’enterrer les dépouilles qui empestaient, sous l’effet de la décomposition. Un quartenier, officiant au nom de la prévôté, l’accompagnait afin de s’assurer de la conformité des inhumations. Le plus souvent, le curé organisait une brève bénédiction et, à peine le trou rebouché, il fallait passer à l’enterrement suivant. En ce début de matinée, Jean Le Fleurinier se sentait bien. La fraîcheur matinale était supportable et le soleil, qui se levait derrière les toits de l’hôpital Sainte-Catherine, illuminait un ciel déjà bleu, promesse d’une belle journée de fin d’été. L’âme et le corps légers, il suivit la rue de la Chaussetterie puis celle de la Ferronnerie pour gagner l’entrée du cimetière située sur la Grand Rue Saint-Denis. Il n’avait que deux enterrements prévus au programme de cette journée, sans doute la plus calme depuis bien longtemps. Le premier étant fixé à dix heures, il allait avoir le temps de préparer ses outils et même de déguster tranquillement la collation que lui avait préparée son épouse. Sa cabane était située au fond du cimetière, adossée au mur qui donnait sur les Halles. Il y prit ses outils et se dirigea vers la fosse qu’il avait creusée la veille. Il aimait s’asseoir au bord du trou, les jambes pendant dans le vide, pour manger. Il l’avait fait des centaines de fois, lorsque le temps était favorable, comme ce matin. Le soleil avait envahi le cimetière et y répandait sa chaleur bienfaisante. Jean Le Fleurinier s’approcha de la fosse. Il posa sa besace sur le tas de terre encore fraîche qui surplombait le trou et engagea la jambe droite dans le vide. C’est alors que son regard tomba en arrêt sur l’homme allongé dans le fond, dont le visage portait la pâleur de la mort.

Nicolas Chantemerle, le nouveau prévôt, resta longtemps immobile, devant la fosse. Campé derrière lui, le bailli Grandfontaine avait tenu à être présent. Le fossoyeur s’était placé en retrait, après avoir répondu du mieux qu’il avait pu à l’avalanche de questions du prévôt. Dans l’esprit de Chantemerle, comme dans celui du bailli, régnaient une effervescence et une confusion des plus grandes. Comment ce cadavre avait-il pu arriver là ? Qui l’y avait placé ? Qui était cet inconnu ?

- Ce n’est pas quelqu’un du quartier ! Il est âgé et je le connaîtrais.

Telle avait été la seule information fournie par le fossoyeur qui avait aidé les deux gardes prévôtaux à sortir le corps de la fosse.

- Examinez sa main droite ! demanda Grandfontaine.

Le prévôt s’exécuta. L’homme portait, au creux de la paume, un dessin représentant un signe tracé avec la pointe d’un couteau.

- De quoi s’agit-il ? s’exclama Chantemerle.

- De la lettre E, lui répondit le bailli avant de questionner le fossoyeur :

- Qui enterre-t-on dans ce secteur du cimetière ?

- Les paroissiens de Saint-Eustache, répondit Le Fleurinier.

- E, c’est l’initiale de Saint-Eustache, soupira le bailli. 

Tous l’observaient, l’air interrogateur. Grandfontaine avait prit une mine grave. Sa voix ne l’était pas moins pour annoncer :

- Le scarificateur n’est pas mort. Il vient encore de frapper.

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11 juillet 2012 3 11 /07 /juillet /2012 17:03

Un nouvel extrait de 24....

par Jean-Michel LECOCQ, mercredi 11 juillet 2012, 17:01 · 

Toujours pour ouvrir l'appétit de celles et ceux qui n'auraient pas encore lu 24...

Paris, le lundi 25 août 1572, 7 heures, le soir,

Paris était à l’image d’un vaste champ de bataille. La fureur qui régnait depuis deux jours ne s’était pas éteinte. Une violence aveugle avait pris possession des rues et s’exerçait jusqu’aux intérieurs des maisons où se terraient les derniers rescapés calvinistes. Aux hommes en armes qui assassinaient quiconque ne pouvait prouver son appartenance à la religion catholique, s’était ajoutée une populace avide de sang. On profitait du carnage général pour régler ses comptes avec ses créanciers, avec ses voisins et, même, avec des membres de sa famille. On pillait aussi. Les orfèvres du Pont-aux-Changeurs en avaient été les premières victimes. Les Argotiers s’en étaient aussi mêlés, voyant le profit qu’ils pouvaient impunément tirer de la situation de chaos dans laquelle était plongée la capitale.

Nicolas Mauclerc n’avait dû son salut qu’à la présence d’esprit de Jacques, l’un des serviteurs de Monsieur de Mondeville qui l’avait entraîné avec lui dans la sous-pente de l’hôtel particulier de la rue Vieille du Temple. Depuis leur cachette, ils avaient entendu les échos de la terrible boucherie qui avait décimé la famille de son protecteur et la plupart de ses gens. Jacques avait quitté la cachette à deux reprises pour aller s’enquérir du sort de ses proches. Il était revenu de sa première sortie, en sanglotant, effondré par le spectacle qu’il avait découvert. Le pasteur avait appris de la bouche de son sauveur que les assassins portaient un signe de reconnaissance, sous la forme d’un foulard blanc noué au bras. La seconde fois, lorsque Jacques était à nouveau ressorti, aux premières lueurs de l’aube, le pasteur ne l’avait pas vu revenir. Le calme rétabli, il était redescendu, un peu avant midi, traversant les étages jonchés de cadavres. Le corps mutilé de Monsieur de Mondeville gisait au beau milieu du hall d’entrée, percé de part en part par les hallebardes des soudards. La demeure avait été pillée et dévastée, comme après le passage d’une armée en campagne. Les corps de son épouse, de ses enfants et de la plupart des serviteurs étaient éparpillés dans la vaste demeure, aussi horribles à voir les uns que les autres tant les meurtriers avaient mis d’acharnement dans leur épouvantable besogne. Le corps de Jacques était étendu au bas de l’escalier, la tête tranchée.

Ne voulant pas supporter plus longtemps ce spectacle, Nicolas Mauclerc se précipita vers le hall où il resta, un long moment, blotti dans l’encoignure de la porte, hésitant à s’engager dans la rue tant elle offrait, elle aussi, le spectacle d’une véritable tuerie et tant elle grouillait encore d’une foule surexcitée. Se rappelant les propos de Jacques, il se ravisa pour remonter dans les étages où il dénicha, dans ce qui restait de linge, un morceau de tissu blanc qui pouvait passer pour un foulard et qu’il noua autour de son bras. Nanti de ce viatique, il se décida à affronter l’agitation de la rue. A voir tous ces excités qui couraient en tous sens, hurlant et brandissant leurs armes rougies du sang de leurs victimes, il se dit que son calme et son apparence devaient détoner au milieu de cette foule, malgré le signe de reconnaissance qu’il portait au bras. Cependant, il n’avait pas le choix. Il lui fallait gagner au plus vite Le lapin agile, une taverne de la rue Saint-Bon où Abel Valembois avait ses habitudes. Il remonta la rue de la Verrerie, en essayant de surmonter son dégoût devant l’amoncellement des cadavres. Peu après le cimetière Saint-Jean, des matrones, traînant derrière elles une tripotée de marmots, s’esclaffaient devant le spectacle d’un orfèvre précipité d’un étage de sa maison et qu’on achevait à coups de pique. Plus loin, au carrefour de la rue du Franc Mourier, une épaisse fumée sortait d’une échoppe. Au beau milieu de sa boutique en flammes, le libraire achevait de rôtir au milieu de ses livres. Devant la maison voisine, une bourgeoise huguenote et sa fille, blessées par des tirs d’arquebuses, étaient achevées à coups de pierres, devant une foule excitée qui applaudissait. A la hauteur de la rue Barre-du-Bec, une bande de gueux tenait le carrefour. Les dix gaillards qui la composaient paraissaient calmes. Ils semblaient attendre quelqu’un. Sans agressivité. Le pasteur ne pouvait les éviter. Le ventre noué par l’anxiété, il s’avança vers le groupe qui lui barrait la route. Un géant qui paraissait commander la bande le prit à partie.

- Tu es bien Nicolas Mauclerc ?

- C’est bien moi.

- Alors, suis-nous ! Abel t’attends comme convenu.

Le pasteur était rassuré. Il suivit les Argotiers qui le guidèrent vers la rue Saint-Bon, indifférents aux atrocités qui jalonnaient leur chemin. On apercevait, entre les maisons, le clocher de Saint-Merri. Un calme relatif régnait sur la petite rue, au milieu de laquelle était situé Le lapin agile. Nicolas Mauclerc pénétra dans le tripot, depuis longtemps aux mains de la Cour des Miracles. Abel Valembois, dont c’était le territoire, en assurait la sécurité, moyennant une rétribution du tenancier, comme il le faisait pour un tas d’autres auberges. La Grenouille invita Mauclerc à prendre place face à lui, de l’autre côté d’une table en chêne aussi crasseuse que les murs de la pièce. A l’exception de Maltourné qui se tenait assis sur un banc près de la porte, les membres de la bande étaient restés à l’extérieur. La taverne était située en contrebas de la rue. On y pénétrait en descendant quelques marches. Il y régnait une fraîcheur bienfaisante qui contrastait avec la fournaise de la rue. Maltourné qui observait discrètement la scène fut étonné de voir un sourire presque tendre éclairer le visage de son chef. Abel Valembois considérait le pasteur avec affection. Cet homme que Maltourné connaissait comme un monstre froid, capable de tuer sans sourciller, indifférent aux malheurs d’autrui et ne faisant que peu de cas de la vie humaine, manifestait, dans l’instant, une sensibilité dont il ne l’eût pas cru capable. Cependant, la distance l’empêchait d’entendre les propos échangés entre les deux hommes.

- Mon père, commença La Grenouille, j’ai accepté de vous rencontrer parce que vous êtes l’une des rares personnes pour qui j’ai du respect dans ce bas monde.

- Ne m’appelle pas mon père, veux-tu ? Je ne suis plus prêtre depuis longtemps.

- A cause de votre nouvelle religion ?

- C’est ça.

- Ce que vous avez fait entretemps ne m’intéresse pas. Pour moi, vous êtes toujours le prêtre qui m’a sauvé quand je n’étais qu’un enfant. C’est pour ça, et uniquement pour ça, que je vous reçois aujourd’hui.

Vingt ans auparavant, alors qu’il était encore prêtre de la paroisse de Saint-Merri, Nicolas Mauclerc avait sauvé le jeune Abel, âgé de onze ans, un jour que son père, ivre, avait entrepris de le tabasser à mort. Il l’avait accueilli à la cure et l’avait confié aux bons soins de sa gouvernante. Le père Valembois, dessaoulé et revenu à de meilleurs sentiments, avait bien tenté de récupérer sa progéniture qui, en mendiant chaque jour sur le parvis de Saint-Merri, était sa seule source de revenu et lui ramenait chaque soir de quoi entretenir son ivrognerie. Nicolas Mauclerc avait fini par décourager le tortionnaire qui avait reculé devant le jeune prêtre décidé et vigoureux qui menaçait de lui casser la tête s’il s’obstinait à persécuter cet enfant. Valembois était mort quelques semaines plus tard d’une vilaine affection du foie. Abel était resté à la cure. La plus heureuse de ce dénouement avait été Marthe, la gouvernante, qui s’était prise d’affection pour ce gamin des rues, laid comme un pou mais dont elle comptait bien faire quelqu’un de convenable. Pendant quelques années, Abel avait grandi entre les mains bienveillantes de cette Bourguignonne débonnaire qui lui avait inculqué les rudiments d’une éducation chrétienne. Puis, un jour, l’enfant était devenu un homme et avait quitté le cocon douillet du presbytère pour rejoindre ses amis dans la Cour des miracles. Découragé, Nicolas Mauclerc avait renoncé à le ramener sur le droit chemin. La même année, il avait abandonné sa cure et avait pris le chemin de la province, pour se réfugier dans un monastère, quelque part dans le sud-ouest. Pour autant, Abel n’avait pas oublié cet homme qui l’avait tiré des griffes de son tortionnaire et il lui en avait conservé une profonde reconnaissance.

Le pasteur abdiqua.

- Admettons, répondit-il.

- Que voulez-vous savoir ?

- Tout ce que tu peux me confier sur l’homme qui t’a commandé les enlèvements de musiciens.

- Vous me demandez de ruiner mon fonds de commerce, mon père ! s’insurgea le truand.

- Parce que tu trouves qu’il s’agit là d’un commerce. Il s’agit de meurtres, Abel ! De meurtres horribles ! Tu as livré des hommes à un monstre. Des hommes qui n’avaient rien fait pour mériter une telle mort.

- Si vous êtes venu pour me faire la morale, mon père, autant arrêter là notre conversation. Chaque jour qui passe, j’estropie ou j’occis des bourgeois pour survivre. Sinon, il n’aurait servi à rien que vous m’ayez protégé de mon père s’il m’avait fallu crever de faim.

- Mais tu étais bien, avec nous, au presbytère. Quelle mouche t’a piqué ?

- Vous ne pourriez pas comprendre, mon père. Je suis né dans la rue. Mes amis vivent dans la rue. La rue est ma famille. Malgré tout le bien que vous avez fait pour moi, l’appel était trop fort. Je n’ai pas pu y résister. Voilà tout ! Et vous, d’ailleurs, pourquoi êtes-vous parti ?

- C’est trop long à expliquer et puis, je ne suis pas sûr que tu pourrais comprendre.

- Vous me prenez pour un imbécile, mon père ?

- Non, Abel. Rassure-toi. Ce sont des histoires de religion, comme tu dis. Voilà tout !

Le pasteur ramena la conversation sur le sujet qui l’avait conduit là.

- Et cet homme, Abel ? Parle-moi de lui.

- Je ne l’ai jamais vu. Je n’ai jamais aperçu son visage. Juste sa silhouette mais il était vêtu d’une cape et sa tête était cachée sous un capuchon. Quand il me donne rendez-vous, c’est dans le confessionnal de Saint-Germain-L’auxerrois. Je n’entends que sa voix.

- Justement, parle-moi de sa voix.

- Il a une voix grave et parle comme quelqu’un qui a l’habitude de commander.

- L’avais-tu déjà entendu auparavant ?

- Jamais !

- Parle-t-il avec un léger chuintement ?

- Oui.

- Lui arrive-t-il de renifler régulièrement comme s’il était enrhumé ?

- Exact, s’étonna Abel, les yeux écarquillés de surprise, avant de poursuivre.

- A vous entendre en parler, on dirait que vous le connaissez, questionna l’Argotier.

- Il se pourrait que oui.

La Grenouille en demeura coi. Il marqua un temps avant d’exprimer sa surprise.

- Vous êtes tout bonnement en train de me dire que vous connaissez l’identité de celui que tous les policiers de Paris considèrent comme l’ennemi numéro un. Vous rendez-vous compte de ce que vous dites, mon père ?

- Bien sûr !

- Dans ce cas, à quoi vous sert-il de me poser toutes ces questions ?

- Pour vérifier, Abel. Pour vérifier.

- De qui s’agit-il ?

- Tu le sauras bien assez tôt. D’ailleurs, je n’en suis pas totalement sûr. Auparavant, il me reste deux ou trois points à examiner avant de me forger une certitude.

A présent, Nicolas Mauclerc savait que ses craintes avaient toutes les chances d’être fondées. Il lui restait un homme à interroger. Un certain Poilblanc, milicien dans le quartier de la colline Sainte-Geneviève. Il fallait faire vite. Un nouveau crime avait sûrement eu lieu la nuit précédente ou alors celle d’avant. Un autre serait commis le mois suivant, à la même date. Le 24. Si le coupable était bien celui auquel il pensait, il finirait bien par réunir suffisamment de preuves pour le confondre. Par ailleurs, sa rencontre avec le bedeau des Cordeliers n’avait rien apporté de nouveau. Martin Séverin était dans un tel état de délabrement physique et mental qu’il avait à peine pu articuler quelques mots, au demeurant presque inaudibles. Il avait invoqué le pardon divin pour les vols mais n’avait consenti aucune révélation susceptible de conforter les soupçons du pasteur. Le pauvre malheureux payait cher son misérable larcin et, de toute évidence, il était totalement étranger aux deux crimes dont on l’avait accusé un peu vite. Du coup, Nicolas Mauclerc en était venu à regretter sa visite au Grand-Châtelet. Si ce n’était déjà fait, cette démarche, finalement improductive, allait sans doute attirer l’attention des autorités et mettre à ses trousses la police prévôtale. Le temps pressait. Il prit congé d’Abel Valembois qui tint à le faire raccompagner jusqu’aux bords de Seine, tant la rue était devenue un véritable abattoir.

- Avec nous, vous ne craindrez rien, mon père, avait assuré La Grenouille dont les hommes, armés jusqu’aux dents, s’étaient déployés autour du pasteur pour remonter la rue Saint-Bon, puis la rue Saint-Jacques, en direction de la Planche Mibray qui permettait d’accéder à l’Ile de la Cité. En sortant du Lapin agile, le pasteur remarqua un homme vêtu de sombre, le visage encapuchonné, qui paraissait attendre quelqu’un à l’entrée de la rue Saint-Bon. Lorsqu’il se retourna une nouvelle fois, la silhouette avait disparu.

Poilblanc demeurait rue des Lavandières, dans un logis situé au premier étage, juste au-dessus de sa boucherie. Nicolas Mauclerc n’était pas assuré de le trouver chez lui, tant les miliciens étaient affairés à traquer les Calvinistes et, après la mort de Delforti, Mathieu Poilblanc, son fidèle second, avait été nommé chef de la milice de la Montagne Sainte-Geneviève. Il avait mis dans ce commandant tout fraîchement échu l’engagement total que lui inspirait sa haine des Réformés, au compte desquels il avait mis la mort de son meilleur ami. Sa boucherie était fermée pendant que son valeureux propriétaire traquait le Huguenot dans les moindres recoins de la capitale. La Grenouille et sa bande abandonnèrent le pasteur à l’entrée de la rue de Garlande dans laquelle un semblant de calme était revenu. Nicolas Mauclerc accéléra le pas pour franchir les quelques quatre cents coudées qui le séparaient du domicile de Poilblanc.

La porte du couloir, jouxtant la boutique et conduisant dans un réduit où Poilblanc devait dépecer ses bêtes et préparer sa viande, était entrouverte. Il s’y engagea et entreprit de grimper l’escalier à vis, à la pierre creusée par les milliers de pas qui l’avaient foulée. La porte du logis était également ouverte. Le bruit d’un râle lui parvint de l’intérieur. Dans la lumière rasante que projetait une fenêtre, il aperçut deux corps allongés sur le dos, au beau milieu de la pièce. Le sol était couvert de sang. Nicolas comprit que la femme était morte, percée de part en part par une broche qui avait sans doute appartenu à son époux. Poilblanc n’était pas en bon état mais il respirait encore. Sans doute ses assassins n’avaient-ils pas eu le temps d’achever leur besogne ou, alors, peut-être avaient-ils cru leur victime morte. Il allait se pencher sur le pauvre boucher lorsqu’il entendit un pas dans l’escalier. Il arriva à la fenêtre juste à temps pour apercevoir une haute silhouette noire disparaître à l’angle de la rue des Noyers. La même que celle entrevue en sortant du Lapin agile. L’assassin ! Ou l’un des assassins. Il eut le sentiment de connaître cette silhouette. Ses soupçons se confirmaient. Il se demanda comment l’homme avait pu le devancer chez le boucher, au point d’avoir le temps de l’assassiner. Il revint auprès du mourant. Poilblanc geignait sans pouvoir articuler le moindre mot, tandis qu’avec la paume de sa main, il tentait vainement de retenir le sang qui coulait d’une méchante blessure au ventre. Le pasteur se pencha sur lui. Il était étonnant de trouver le chef de la milice assassiné comme un vulgaire Calviniste, au moment où celui-ci était précisément chargé de les exterminer et alors qu’il portait encore au bras un foulard en tous points semblable à celui de Mauclerc. De toute évidence, il ne lui restait plus à vivre que quelques instants d’agonie. Une question de minutes. Le pasteur comprit qu’il ne pourrait rien tirer de cet homme dont le souffle s’éteignait progressivement et dont les paupières demeuraient à présent irrémédiablement closes.

Il allait quitter les lieux lorsqu’il avisa, au sol, sur la gauche du milicien, à hauteur de sa cuisse, une curieuse traînée de sang dont le tracé s’apparentait à des caractères d’écriture. En se penchant davantage sur le corps à présent sans vie du boucher, il crut reconnaître, écrit de façon malhabile mais cependant aisément identifiable, le nom de l’une des plus grandes et des plus honorables familles du royaume : Gondi. A n’en pas douter, le meurtre du boucher n’avait rien à voir avec les massacres qui frappaient la communauté huguenote. Celui ou ceux qui avaient surpris dans son logis le chef de la milice pour le tuer étaient portés par d’autres motivations que Nicolas Mauclerc devinait. Le tueur ou ses sbires savaient que Poilblanc avait été témoin de la découverte de la dague à Saint-Séverin, comme Mauclerc lui-même en avait été informé. Le scarificateur, puisqu’il fallait bien le nommer ainsi, faisait disparaître tous les témoins susceptibles d’identifier la dague qui, comme la plupart des armes blanches, devait porter sur son manche le blason de son propriétaire. Cela avait commencé avec Delforti et se poursuivait avec Poilblanc. Nicolas Mauclerc savait que le prévôt était en possession de l’arme puisque le chef de la milice la lui avait remise le jour même. Le curé de Saint-Séverin, dont il avait recueilli les confidences, avait été formel : Delforti avait remis à Desmeliers ce qui ressemblait à une dague mais, de là où il se trouvait, le prêtre n’avait pu percevoir aucun détail. Comme le pasteur, il avait été surpris que cette découverte ne fût mentionnée nulle part. Personne n’avait entendu parler de cette dague, sauf quelques proches de Delforti et de Poilblanc qui avaient eux-mêmes payé leur indiscrétion au prix fort. Dans ces conditions, tout devenait possible et les hypothèses affluaient dans l’esprit de Mauclerc. Qui avait bien pu assassiner le chef de la milice ? Il pensa tout d’abord à un possible règlement de comptes qui aurait expliqué la non prise en compte du signe de ralliement que le milicien portait au bras. Cependant, le pasteur ne parvenait pas à accorder un réel crédit à cette idée. Il songea ensuite au prévôt dont le silence au sujet de la dague pouvait s’interpréter comme un indice, sinon de culpabilité, du moins de complicité et c’était peut-être un de ses hommes, sinon lui-même, qui avait trucidé le boucher. Mais, cette hypothèse paraissait trop invraisemblable. La famille Gondi occupait les plus hautes fonctions dans le royaume et le prévôt Desmeliers, en homme avisé, avait probablement voulu éviter un scandale aux conséquences incalculables, surtout en ces temps troublés où un rien pouvait faire vaciller le pouvoir. Peut-être même avait-il reçu des ordres de sa hiérarchie ! Dans ce cas, on pouvait supposer que Poilblanc, dans un reste de lucidité et avec l’énergie du désespoir, avait cherché, en écrivant ce nom, à désigner la famille dont les armes figuraient sur la dague. A moins qu’il ne se fût agi d’un subterfuge de son meurtrier. En effet, il était tout aussi possible que le ou les assassins aient eux-mêmes tracé ce patronyme afin de détourner les soupçons. Mais, dans ce cas, pourquoi avoir écrit ce nom aussi près du corps de la victime dont le sang était appelé à s’écouler en abondance et risquait de recouvrir cette tardive confidence ? Quelle que fût la vérité, il ne pouvait être question de la taire mais qui pourrait croire un misérable homme d’église, de surcroît passé à une cause maudite ?

Le sang, qui, à présent, s’écoulait en abondance du ventre de Poilblanc, commençait à noyer le pathétique témoignage griffonné sur le sol. En quelques instants, le nom de la prestigieuse famille de Gondi disparut sous une épaisse tache qui commençait à virer au brun. La seule preuve, si tant est qu’elle en fût réellement une, venait de s’effacer. A présent, il fallait gagner de toute urgence le presbytère de la rue Saint-Séverin, afin de prévenir le père Caumont dont la vie était désormais en danger, comme celle de tous ceux qui avaient eu la malchance de pénétrer dans son église la nuit du 24 mai. Un bruit de bottes dans la rue finit de décider Mauclerc à quitter les lieux. Même en ces temps, où massacrer était devenu une occupation banale, le risque qu’on le soupçonne d’avoir assassiné le chef de milice ne pouvait lui attirer que les pires ennuis. Il dévala les escaliers et disparut dans le jardin situé à l’arrière de la maison.

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    11 juillet 2012 3 11 /07 /juillet /2012 16:34
    Extrait du Christ jaune, Editions L’harmattan, 2011

    Vienne, le 25 mars 2009, 20 heures 30

    Le froid était revenu sur la capitale autrichienne. Magda savait que la soirée allait être difficile. Depuis cinq ans qu’elle tapinait dans ce quart...ier sordide qui bordait le Ring, elle en avait pris l’habitude. Blottie dans l’angle d’une porte d’immeuble, elle se tenait adossée au vantail, sa main serrant le col de son manteau, guettant d’un œil l’avenue afin de repérer un hypothétique client. Les passants étant rares, elle ne pouvait guère compter que sur les automobilistes qui circulaient à une dizaine de mètres d’elle. Faiblement éclairée par la lumière d’un réverbère, on pouvait apercevoir sa mince silhouette et les habitués qui passaient là ne pouvaient ignorer la raison de sa présence. Ce quartier était réputé pour cela. Dans cette capitale rigoriste, il n’était pas question pour elle de pratiquer son métier dans le centre-ville où la police exerçait une présence constante. La prostitution était reléguée en périphérie, là où elle devenait moins voyante et où les clients savaient pouvoir trouver facilement des filles qui s’égrenaient dans la pénombre le long de l’immense avenue. Par ce froid glacial, Magda ne s’attendait pas à voir venir à elle beaucoup de clients. Deux ou trois lui suffiraient amplement pour survivre quelques jours et peut-être mettre de côté une cinquantaine d’euros.

    Celui qui s’arrêta devant elle ne descendait pas d’un véhicule. Il était arrivé à pied sans qu’elle l’ait vu venir. Elle avait sursauté en l’apercevant. L’homme, d’âge mûr, avait de l’embonpoint et sa mise était celle d’un bourgeois. A l’évidence, ce client avait de l’argent et cela suffisait à Magda qui lui emboîta le pas. L’homme lui prit même le bras, ce qui surprit la jeune femme. Il s’exprimait dans un allemand presque parfait mais elle devina à son allure qu’il était français.

    -Nous allons devoir faire un peu de chemin en marchant, lui précisa-t-il. Mon hôtel est à quinze minutes d’ici. Je te commanderai un taxi pour repartir.

    La réception de l’hôtel était bondée. Des touristes encombraient le passage avec d’imposants bagages et accaparaient l’attention des employés. Magda préférait cela. Les deux réceptionnistes l’auraient facilement identifiée et, dans cet hôtel de standing, mieux valait passer inaperçue. L’homme avait passé son bras sur ses épaules pour traverser le hall. Comme un couple d’amoureux. Elle avait trouvé cela bizarre et elle en avait presque été émue. C’était agréable. Ils prirent l’escalier. La chambre de son client se situait au deuxième étage. La porte se referma sur eux offrant à Magda le spectacle d’une pièce luxueuse au charme un peu démodé. Il y faisait chaud. Une sensation de bien-être la gagna et elle laissa tomber sur le lit son manteau encore imprégné du froid humide ramené de l’extérieur. Elle n’eut pas le temps d’aller plus avant. Une lame s’enfonça dans son dos. Magda s’affaissa sur la moquette sans avoir eu vraiment le temps de réaliser ce qui lui arrivait.
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    Photo : Extrait du Christ jaune, Editions L’harmattan, 2011 Vienne, le 25 mars 2009, 20 heures 30 Le froid était revenu sur la capitale autrichienne. Magda savait que la soirée allait être difficile. Depuis cinq ans qu’elle tapinait dans ce quartier sordide qui bordait le Ring, elle en avait pris l’habitude. Blottie dans l’angle d’une porte d’immeuble, elle se tenait adossée au vantail, sa main serrant le col de son manteau, guettant d’un œil l’avenue afin de repérer un hypothétique client. Les passants étant rares, elle ne pouvait guère compter que sur les automobilistes qui circulaient à une dizaine de mètres d’elle. Faiblement éclairée par la lumière d’un réverbère, on pouvait apercevoir sa mince silhouette et les habitués qui passaient là ne pouvaient ignorer la raison de sa présence. Ce quartier était réputé pour cela. Dans cette capitale rigoriste, il n’était pas question pour elle de pratiquer son métier dans le centre-ville où la police exerçait une présence constante. La prostitution était reléguée en périphérie, là où elle devenait moins voyante et où les clients savaient pouvoir trouver facilement des filles qui s’égrenaient dans la pénombre le long de l’immense avenue. Par ce froid glacial, Magda ne s’attendait pas à voir venir à elle beaucoup de clients. Deux ou trois lui suffiraient amplement pour survivre quelques jours et peut-être mettre de côté une cinquantaine d’euros. Celui qui s’arrêta devant elle ne descendait pas d’un véhicule. Il était arrivé à pied sans qu’elle l’ait vu venir. Elle avait sursauté en l’apercevant. L’homme, d’âge mûr, avait de l’embonpoint et sa mise était celle d’un bourgeois. A l’évidence, ce client avait de l’argent et cela suffisait à Magda qui lui emboîta le pas. L’homme lui prit même le bras, ce qui surprit la jeune femme. Il s’exprimait dans un allemand presque parfait mais elle devina à son allure qu’il était français. -Nous allons devoir faire un peu de chemin en marchant, lui précisa-t-il. Mon hôtel est à quinze minutes d’ici. Je te commanderai un taxi pour repartir. La réception de l’hôtel était bondée. Des touristes encombraient le passage avec d’imposants bagages et accaparaient l’attention des employés. Magda préférait cela. Les deux réceptionnistes l’auraient facilement identifiée et, dans cet hôtel de standing, mieux valait passer inaperçue. L’homme avait passé son bras sur ses épaules pour traverser le hall. Comme un couple d’amoureux. Elle avait trouvé cela bizarre et elle en avait presque été émue. C’était agréable. Ils prirent l’escalier. La chambre de son client se situait au deuxième étage. La porte se referma sur eux offrant à Magda le spectacle d’une pièce luxueuse au charme un peu démodé. Il y faisait chaud. Une sensation de bien-être la gagna et elle laissa tomber sur le lit son manteau encore imprégné du froid humide ramené de l’extérieur. Elle n’eut pas le temps d’aller plus avant. Une lame s’enfonça dans son dos. Magda s’affaissa sur la moquette sans avoir eu vraiment le temps de réaliser ce qui lui arrivait.
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    8 juillet 2012 7 08 /07 /juillet /2012 09:25

    Un nouvel extrait de mon récent thriller "24"...

    par Jean-Michel LECOCQ, dimanche 8 juillet 2012, 09:23 · 

    Il s'agit du texte intégral du deuxième chapitre

    Paris, le lundi 25 février 1572, 9 heures, le matin,

    Martin Séverin travaillait depuis près de quinze ans pour la paroisse. Son office consistait à tenir l’église en bon état et à préparer les lieux pour les messes et cérémonies diverses qui s’y déroulaient. Deux églises lui incombaient : celle des Cordeliers, attenante au collège de justice, vestige encore intact d’un ancien monastère franciscain, et Saint-Cosme, distante d’une centaine de mètres. En quelque sorte, il faisait office de bedeau. Chaque matin, à huit heures précises, Martin était à pied d’œuvre et veillait à ce que tout fût prêt pour la première messe. Le curé, lui aussi titulaire depuis une quinzaine d’années, ne lui aurait pas pardonné la moindre négligence, le moindre manquement à son office. Martin se faisait un devoir, mieux, une gloire, de ne jamais faillir à ses obligations. En retour, il jouissait de l’estime de son curé et de l’affection de tous les paroissiens qui le tenaient pour un brave homme, Consciencieux et dévoué, tel était Martin. En somme, un bon chrétien.

    Chaque matin, en arrivant dans son église, Martin entreprenait d’abord d’allumer les poêles, installés dans le chœur et de chaque côté de la nef, à raison d’un tous les vingt mètres. Ce matin là, plus que tout autre jour, cette priorité s’imposait. Le froid avait dû être plus intense que les nuits précédentes. Les vitraux étaient recouverts de givre. Malgré la peau de mouton qui lui ceignait les reins et recouvrait ses épaules, Martin grelottait. Il se dit que les quelques bûches entassées près de chaque poêle ne suffiraient pas à entretenir, tout le temps de l’office, la chaleur souhaitée, d’autant plus qu’il faudrait maintenir des braises pour pouvoir relancer le feu juste avant les vêpres. En conséquence, il se dirigea vers la réserve de bois à laquelle on accédait par la sacristie. La porte était ouverte, ce qui surprit et contraria Martin. Car Martin tenait à ce que tout fût en ordre et à ce que rien ne dérogeât, de quelque façon que ce fût, à des usages maintenus inchangés depuis des décennies. Une seule fois en quinze ans, cet ordre immuable avait été violé, précisément en août de l’année précédente, le matin où il avait trouvé la porte de l’église ouverte. En s’avançant dans l’allée centrale, il avait aperçu un corps sans vie, allongé à même le sol, la gorge tranchée. L’homme, un musicien d’une soixantaine d’années, était venu se faire assassiner là, pendant la nuit, Dieu seul savait pourquoi. Et encore ! La victime appartenait à la maison d’Estouteville dont l’hôtel particulier se trouvait sous les remparts, Vieille rue du Temple, à l’autre bout de Paris. Tout le monde se demanda ce qu’il était venu faire là et qui avait pu estourbir cet homme apparemment sans histoire. Au terme d’une enquête bâclée, la police épiscopale avait conclu à un crime de rôdeur, ce qui, compte-tenu de la canaille dont Paris regorgeait, plaçait les autorités devant une mission impossible, malgré la qualité et le zèle de leurs informateurs. La prévôté, jalouse de ses prérogatives, avait bien mené elle aussi son enquête mais avait très vite renoncé à trouver le coupable.

    En poussant la porte de la réserve à bois, Martin eut un pressentiment, confirmé par la résistance du panneau à sa poussée. Quelque chose bloquait la porte et il dut s’employer de toutes ses forces pour parvenir à se frayer un passage suffisant dans l’entrebâillement.

    - Palsambleu ! Sainte-mère, priez pour moi ! s’exclama-t-il, en se signant.

    Dans le rai de lumière que sa torche projetait par l’ouverture de la porte, Martin pouvait voir nettement un corps recroquevillé sous lequel s’était formée une tâche sombre qu’il identifia très vite comme du sang. A voir sa mise, on devinait que l’homme n’était pas un gueux. Le manteau, sans être neuf, était encore beau et de bonne facture, tout de velours noir, ourlé, au col et en bas, d’une garniture de taffetas gris. En se penchant sur le corps sans vie, Martin devina un vieillard dont le visage blême s’était figé dans une expression de souffrance. Son bonnet avait glissé, laissant voir sa tignasse blanche, éparse, dont les extrémités étaient collées par le sang séché. Osant un geste pour s’assurer que l’homme était bien mort, Martin sentit, au travers de l’étoffe, la rigidité d’un corps que la mort avait dû frapper depuis de longues heures déjà. Sans doute la veille. Il eut une réaction de recul. Puis, surmontant sa frayeur, il revint au cadavre. En approchant sa torche, il découvrit l’endroit où l’arme avait pénétré la victime. Une large déchirure entaillait le manteau, en bas du dos. D’une main tremblante, il souleva l’un des pans du vêtement. Il avait vu juste. Comme cela avait été le cas six mois plus tôt, la bourse en cuir, sur laquelle dansaient les reflets de la flamme vacillante, était rebondie comme un sein de garce. Il se retourna, promena sa torche tout autour pour s’assurer qu’il était bien seul et ouvrit la bourse, avec, dans le regard, le même mélange d’inquiétude et de cupidité que l’été précédent. Il ne prit pas le soin de compter les pièces en or qu’il bourra dans les poches de ses chausses. Il devait y avoir dans les mille livres. Comme six mois auparavant…. Puis, il monta dans le clocher, là où il savait trouver une cachette sûre. Il reviendrait le lendemain pour récupérer son butin. Comme six mois plus tôt…. Certes, Martin était un bon bedeau et même, sans doute, un bon chrétien mais cela n’y faisait rien. Cet homme-là, comme son compère trouvé au même endroit en août de l’année précédente, n’avait plus besoin de cet argent tandis que lui, Martin, savait à quoi l’employer. Des gages qui suffisaient à peine à le nourrir, une femme malade, un galetas pour tout logement, rue de la Serpente, et un fils disparu à dix-huit ans sans laisser d’adresse faisaient de son existence une longue et douloureuse pénitence. Avec cet argent, Martin savait qu’il pourrait quitter Paris pour trouver ailleurs une vie plus douce. Acheter un lopin de terre quelque part en Bretagne, là où avaient vécu ses ancêtres et, qui sait, voir revenir un jour le fils perdu.

    Lorsqu’il eut mis son butin en sécurité, le bedeau se décida à alerter le curé.

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    6 juillet 2012 5 06 /07 /juillet /2012 10:45

    L'extrait qui suit est la fin du premier chapitre. Clara, une jeune femme psychopathe, s'est enfuie de l'hôpital psychiatrique où elle était internée à la suite du meurtre de ses parents. Dans sa cavale, elle a abattu deux gendarmes et fait du stop sur une route forestière tout près de la frontière belge...                                                                                                

    Un extrait de " Portrait-robot ", mon prochain polar....

    par Jean-Michel LECOCQ, vendredi 6 juillet 2012, 10:43 · 

    Au bout d’une heure, Clara avait décliné six propositions de prise en charge. Des femmes, des couples, un grand-père un peu gâteux.

    Un nouveau véhicule s’immobilisa à sa hauteur. Un 4x4, un de ces monstres munis d’un pare-buffle, dont le marchepied vous arrive à hauteur de la taille. Le passager baissa la vitre.

    - Eh bien, ma jolie, on se promène ?

    - C’est ça, répondit-elle du ton le plus neutre qu’elle put. « Pauvre con ! », ajouta-t-elle en son for intérieur.

    - Et où peut-on vous déposer ? poursuivit le type qui, au terme d’un examen plus détaillé, ressemblait à plouc du coin revenant de la chasse. C’était un quinquagénaire rougeaud, engoncé, malgré la chaleur, dans une veste en toile imitation treillis.

    - A la frontière belge, précisa Clara, en même temps qu’elle grimpait à l’arrière du véhicule.

    Son acolyte était du même tonneau. Il s’agissait bien de chasseurs. Leur tenue, la boue qui garnissait la carrosserie et même la sellerie, les chapeaux poussiéreux et flétris posés sur la banquette. A coup sûr, les fusils et les cartouchières étaient dans le coffre. Deux beaux spécimens de chasseurs. Beaufs à souhait, mal rasés et traînant sur eux l’odeur de plusieurs heures de traque au gibier au fond des bois, sous le cagnard d’août. Des braconniers sans doute car la chasse était fermée. Clara le savait. Pas besoin d’être chasseur pour connaître les dates d’ouverture. Il n’y avait qu’entre mars et septembre qu’on pouvait se promener en toute quiétude dans la forêt. Et vicelards avec ça. Les deux types se regardaient en échangeant des regards qui en disaient long sur leur côté libidineux. Finalement, la pétasse de la Mercédès avait raison. On ne savait jamais sur qui on pouvait tomber, quelle mauvaise rencontre pouvait surgir sur votre chemin. Clara, elle, le savait. Cette biche ramassée sur le bord de la route, dans ces bois, sans témoins, pouvait être une sacrée aubaine pour deux amateurs de chair fraîche. Le conducteur la reluquait dans le rétroviseur, à tel point qu’elle faillit lui demander à plusieurs reprises de se concentrer sur sa conduite. Le passager se retournait régulièrement. Clara avait conscience que son regard, plus salace encore que celui de son voisin, s’attardait alternativement sur sa poitrine et sur ses cuisses que la position assise avait généreusement découvertes. Il n’était pas difficile de décrypter ce qui se passait. Dans le silence de leurs regards complices, les deux hommes se consultaient sur la conduite à tenir. A présent, Clara avait l’impression de les voir plus rougeauds qu’au moment où elle avait grimpé dans le véhicule. Congestionnés par le désir, voilà comment ils étaient. Leurs inhibitions, si tant est qu’ils en aient eu beaucoup, n’allaient pas tarder à se lever. Si ce n’était déjà fait.

    Elle resserra un peu plus son sac contre elle, pour se rassurer.

    La frontière belge se rapprochait. Clara connaissait le coin. Encore quatre à cinq kilomètres et ils entreraient dans Pussemange, le premier village belge. Le panneau indiquant qu’on entrait en Belgique allait bientôt apparaître. Le 4x4 venait d’entamer une longue ligne droite. Des chemins de terre quittaient la route, tous les deux cents mètres, pour s’enfoncer dans un sous-bois dense. Les deux hommes connaissaient aussi la région. Cela se sentait, cela se voyait, autant qu’était perceptible leur libido exacerbée. Le 4x4 vira brusquement sur la droite dans une allée qui courait au milieu des sapins. Le véhicule brinquebalait sur le chemin creusé d’ornières. Encore une centaine de mètres et le feuillage dense des feuillus allait le dissimuler. Le conducteur stoppa son moteur et s’adressa à son passager, sur un ton entendu.

    - C’est l’endroit idéal. Qu’est-ce que tu en penses ?

    - C’est parfait, lui répondit son acolyte, en se retournant pour déshabiller une nouvelle fois du regard leur passagère.

    Clara leur décocha un sourire généreux, allant de l’un à l’autre pour mieux enregistrer leurs traits. Pouvait-on qualifier d’êtres humains ces deux pourceaux chez qui l’idée du viol imminent qu’ils se préparaient à commettre faisait briller leurs yeux injectés de sang ?

    - C’est aussi mon avis, leur rétorqua-telle, sans abandonner son sourire qu’elle tenta de rendre le plus avenant que possible.

    L’expression des deux hommes se figea. Leurs faces couperosées furent gagnées par une expression d’incompréhension. Ils ne s’attendaient pas à ce que la jeune femme fût consentante. Encore moins, à ce qu’elle sortît de son sac ridicule, un revolver Manurhin dont la taille leur parut disproportionnée en comparaison de la frêle silhouette qui le brandissait dans leur direction. Encore moins au choix qu’elle leur laissa.

    - Par lequel je commence ?

    Ni l’un, ni l’autre n’eurent le temps de réfléchir à une réponse qui ne dépendait d’ailleurs pas d’eux. Clara opta pour le conducteur. Sans doute le moins pourri des deux. Un point de vue subjectif, à n’en pas douter. Histoire que l’autre assiste à la répétition de sa propre mort. Les deux coups de feu claquèrent à deux secondes d’intervalle. Les balles firent mouche. Dans le front, comme pour les gendarmes. Les deux hommes s’affaissèrent sans un cri, sur la console centrale, tête contre tête. Clara considéra un long moment l’arme qu’elle tenait dans sa main gauche. Elle comprit alors pourquoi il lui avait été aussi facile de s’emparer du révolver du jeune gendarme et de tirer aussi vite : il portait son arme à droite et elle était gauchère.

    - Et de quatre ! hurla-t-elle, en laissant traîner dans l’aigu le dernier mot, comme pour mieux évacuer sa rage.

    Elle rangea le revolver dans son sac et quitta le véhicule.

     

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    7 juin 2012 4 07 /06 /juin /2012 10:21

    Incipit...

    par Jean-Michel LECOCQ, jeudi 7 juin 2012, 10:20 · 

    Voici l'incipit de 24, c'est-à-dire les premières lignes du roman...

    "Paris, le dimanche 24 février 1572, 8 heures, le soir

    Le bourdon de Notre-Dame venait tout juste de sonner le couvre-feu lorsque le vieil homme franchit la Porte aux Aveugles. Il dut s'écarter à plusieurs reprises de la chaussée boueuse afin d'éviter les projections des charrettes que menaient à vive allure des conducteurs pressés d'entrer dans Paris avant la fermeture des accès à la ville. La nuit était tombée depuis plus de deux heures. Un vent glacial s'était levé et les falots, qui brûlaient aux angles des immeubles, animaient un étrange ballet d'ombres dans les rues à présent désertes. Les chandelles des artisans s'étaient éteintes au fond des boutiques et les commerçants avaient abandonné leurs échoppes. La vie s'était brusquement retranchée autour du foyer, dans les intérieurs où chacun s'était calfeutré derrière les façades désormais obscures. Le vide des rues accentuait la sensation de froid. Malgré son épais manteau et son bonnet de velours qui lui couvrait les oreilles, le vieil homme était transi. Il quitta la rue de la Croix du Trahoir pour obliquer vers la Seine, par la rue des Poulies. Il préférait ainsi s'écarter autant que possible du quartier des Halles, de sinistre réputation, où sévissaient des bandes de mauvais garçons, Argotiers ou autres, qui, la nuit venue, se dispersaient autour de la Cour des Miracles, en quête d'un bourgeois ou d'un voyageur à détrousser.

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