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17 octobre 2015 6 17 /10 /octobre /2015 20:24
Un chapitre de "24", mon thriller historique...

Comme, ce samedi, j'ai évoqué avec plusieurs de mes interlocuteurs mon thriller historique "24", qu'ils se sont déclarés intéressés et m'ont promis de se rendre sur mon blog, voici le premier chapitre en guise de mise en bouche.

~~Paris, le dimanche 24 février 1572, 8 heures, le soir,

Le bourdon de Notre-Dame venait tout juste de sonner le couvre-feu lorsque le vieil homme franchit la Porte aux Aveugles. Il dut s’écarter à plusieurs reprises de la chaussée boueuse afin d’éviter les projections des charrettes que menaient, à vive allure, des conducteurs pressés d’entrer dans Paris avant la fermeture des accès à la ville. La nuit était tombée depuis plus de deux heures. Un vent glacial s’était levé et les falots, qui brûlaient aux angles des immeubles, animaient un étrange ballet d’ombres dans les rues à présent désertes. Les chandelles des artisans s’étaient éteintes au fond des boutiques et les commerçants avaient abandonné leurs échoppes. La vie s’était brusquement retranchée autour du foyer, dans les intérieurs où chacun s’était calfeutré derrière les façades désormais obscures. Le vide des rues accentuait la sensation de froid. Malgré son épais manteau et son bonnet de velours qui lui couvrait les oreilles, le vieil homme était transi. Il quitta la rue de la Croix du Trahoir pour obliquer vers la Seine, par la rue des Poulies. Il préférait ainsi s’écarter autant que possible du quartier des Halles, de sinistre réputation, où sévissaient les bandes de mauvais garçons, Argotiers ou autres, qui, la nuit venue, se dispersaient autour de la Cour des Miracles, en quête d’un bourgeois ou d’un voyageur à détrousser. Deux laquais de l’Hôtel d’Alençon, occupés à refermer le lourd portail de la demeure ducale, lui donnèrent l’impression d’être les dernières présences humaines rassurantes, sur ce long trajet qui devait le conduire à l’autre bout de Paris. Les deux gaillards, arc-boutés, chacun contre un battant, considérèrent avec étonnement la silhouette chétive et courbée qui hâtait le pas, en prenant soin de ne pas glisser sur les pavés humides. - Bonsoir l’ami ! l’interpella l’un d’eux. N’as-tu donc point peur de te faire égorger par quelque vaurien à pareille heure ? - A ton âge, il ne fait pas bon courir les rues la nuit, renchérit l’autre. Donne-nous ta bourse. Ce sera au moins ça de sauvé ! - Ne vous en faites pas pour moi ! répondit-il sur un ton trop peu assuré pour être vraiment crédible. Les deux hommes éclatèrent d’un rire bruyant avant de se glisser par l’entrebâillement de la porte cochère. Après qu’ils eurent refermé les lourds battants et qu’on eut entendu le bruit sec des serrures, la rue fut brusquement rendue à la nuit. Le vieil homme accéléra le pas. Une chape humide s’abattit sur lui, indiquant qu’il approchait du fleuve. Il n’était pas question de longer la Seine par les berges. L’endroit était aussi dangereux que le Cul-de-sac des Cordiers ou que la rue Saint-Sauveur. Il s’engagea dans la rue Saint-Germain-L’Auxerrois. Ensuite, il lui fallait franchir la Seine, en empruntant le Pont-aux-Changeurs, traverser l’île de le Cité puis de nouveau le fleuve, par le Petit Pont Neuf, avant de parcourir la rue Hautefeuille jusqu’à son terme, l’église des Cordeliers, où il avait rendez-vous. Le silence des rues était à peine brisé, de temps à autre, par les aboiements de quelques chiens ou par le remue-ménage que faisaient les rats en détalant sur son passage. Il lui sembla que le froid avait redoublé. Il remonta le col de son manteau et le tint serré de sa main gauche. A cet instant, il aurait dû se trouver dans sa chambre, devant sa table de travail, près de l’âtre et du feu crépitant que n’avait sans doute pas manqué de lui préparer Constant, le fidèle valet de chambre de son protecteur, Monsieur de Gondi. Le serviteur avait dû trouver curieux de ne pas le voir. Il devait être déçu aussi de n’avoir pu s’attarder quelques instants pour papoter avec lui et lui raconter les derniers potins de Paris. Car il n’y avait pas mieux informé, ni plus bavard que Constant et Jacques aimait savoir ce qui se passait et ce qui se disait en ville. Jacques de Chélande, car tel était le patronyme de notre vieil homme, était musicien et passait le plus clair de ses soirées à composer madrigaux et motets, à arranger messes et requiems, ainsi que l’y avait formé son maître Josquin des Prez. Ce soir, le brave serviteur allait devoir se faire une raison. Le vieux Jacques ne serait pas là pour l’écouter raconter les derniers exploits de Monsieur de Montmorency ou encore pour se gausser des déboires conjugaux de Monsieur de Nanteuil. Ce soir, il était impératif pour Jacques de Chélande de répondre au message reçu la veille, qui lui donnait rendez-vous aux Cordeliers, à l’autre extrémité de la capitale. Il y avait trop longtemps qu’il l’espérait, qu’il en rêvait. Depuis cette époque où, à peine adolescent, il avait été enlevé à ses parents, à moins que ce ne fût acheté, en raison de l’exceptionnelle qualité de sa voix. Il n’oublierait jamais l’homme qui l’avait emmené sur son cheval, à bride abattue, depuis la Picardie, sa terre natale, jusqu’à Paris où il avait été confié aux moines de Saint-Martin-des-Champs. C’est là qu’il avait complété sa formation de chantre, avant de croiser la route de Josquin des Prez, leur maître à tous, et de le suivre à la Cour de Lorraine, puis à Paris. - Tu es Picard, comme moi, lui avait confié son protecteur. Tu es doué et bon élève. Tout cela fera de toi un excellent musicien, pour peu que tu suives scrupuleusement mes conseils. Le jeune homme avait fait de ces paroles un engagement presque sacré. - Je ferai en sorte d’être digne de vous, maître, avait-il répondu au vieil homme, âgé de quatre-vingts ans, dont on pressentait la fin proche. Le maître avait disparu très tôt après leur rencontre, trop tôt au goût de son élève qui avait trouvé refuge auprès de la famille de Gondi. Durant les quelques années pendant lesquelles il avait côtoyé son professeur, le jeune Jacques avait eu le temps d’apprendre à jouer de divers instruments. On l’avait aussi initié à la composition. Comme tous ses collègues musiciens, il ambitionnait la perfection dans la façon d’allier la musique et le chant. Comme eux, il rêvait de retrouver et d’interpréter cette pièce extraordinaire, considérée comme la quintessence de son art mais qu’on disait à tout jamais disparue : le premier requiem, composé par Dufay. La perfection absolue, la quête d’une vie, le rêve de tout musicien ! Et voilà qu’un signe du ciel s’était manifesté. Dans un premier temps, il n’avait osé y croire. Puis, pensant avoir identifié celui qui lui avait adressé ce signe, il avait écarté tout doute sur la véracité de l’information. La partition avait été retrouvée et s’offrait à lui. La somme qu’on en demandait était énorme. Mille livres ! Autant dire une fortune. Mais qu’importait ! Cette somme était dérisoire au regard de ce que représentait cette partition légendaire. Il avait mis dans sa bourse la presque totalité de ses économies. L’enjeu le méritait bien. Il avait seulement tiqué en considérant l’heure du rendez-vous, si tardive, et le lieu, si éloigné de son domicile. Il avait préféré ne prévenir personne des motifs de son escapade nocturne. Il prit conscience qu’il avait juste laissé traîner sur sa table de travail le petit mot anonyme qui lui donnait rendez-vous à l’église des Cordeliers. A soixante-dix ans, il estimait n’avoir de comptes à rendre à personne, sauf peut-être à son protecteur, qui l’hébergeait dans son hôtel du Faubourg Saint-Honoré. Mais Albert de Gondi était absent, appelé à l’étranger par une ambassade au profit du roi. De facto, il se sentait libre, délié de toute obligation. Il fallait simplement dominer sa peur, celle de traverser une ville livrée la nuit aux détrousseurs en tous genres, surtout lorsqu’on était en possession d’une somme aussi considérable. Mais il importait aussi de surmonter son appréhension du froid qui, en cet hiver rigoureux, avait pris possession de Paris. Jusqu’au débouché de Saint-Germain-L’Auxerrois, tout se passa sans encombres. Il commençait même à prendre confiance. Il se sentait gagné par l’assurance qu’à part lui, aucune autre âme ne serait assez folle pour oser braver ce froid intense qui rendait l’air transparent et chassait les odeurs d’ordinaire nauséabondes de la capitale. C’est à la hauteur de La Boucherie qu’il entendit monter une rumeur, d’abord assourdie mais qui s’amplifia vite à mesure qu’il s’approchait du Grand-Châtelet. La rumeur devenait tumulte, ne laissant planer aucun doute sur le danger qui approchait. A cette heure, avec la menace du guet ou de la garde bourgeoise, chargés l’un comme l’autre de faire respecter le couvre-feu, seuls des Argotiers pouvaient mener un tel tapage, sans souci d’être inquiétés. L’ivresse gommait la crainte et faisait de cette bande hurlante une redoutable prédatrice et, même, compte-tenu du nombre, une menace pour un guet réduit à quelques hommes insuffisamment armés. Le vieux musicien avisa une venelle qui faisait face au Grand-Châtelet et s’y engouffra. Il s’agissait visiblement d’un cul-de-sac qui rendait toute fuite impossible. Tapi dans l’ombre, priant Dieu qu’aucun de ces égorgeurs n’eût l’idée de jeter un œil dans la ruelle, il sentit la peur le pénétrer, jusque dans la moindre de ses fibres. Dans la clarté des lanternes qui éclairaient la façade du Grand-Châtelet, il eut le temps d’entrevoir le cortège de ces gueux, dépenaillés et titubants qui, à coup sûr, l’auraient conduit à trépas si, d’aventure, ils l’avaient aperçu. Pris de tremblements, il demeura ainsi de longues minutes, en attendant que le vacarme se fût éteint puis, resserrant un peu plus les pans de son manteau sur son corps transi, il reprit sa longue marche vers Les Cordeliers. Après l’épisode du Grand Châtelet, il se sentit un peu plus rassuré, pensant que les Argotiers avaient pris une direction différente de la sienne, sans doute pour se rendre au Port au foin où, nuitamment, il leur arrivait fréquemment de tenir leurs assises. L’île de la Cité était toute proche, dernier obstacle avant la terre promise. Une fois le fleuve passé, le danger serait moindre, les gueux répugnant à se rendre sur la rive gauche, aux mains des étudiants. Même la sensation de froid lui sembla moins forte. Certes, il faudrait faire le chemin inverse pour rentrer Faubourg Saint-Honoré mais il avait le sentiment qu’une fois la main mise sur ce qu’il convoitait le plus au monde, rien ne pourrait plus l’atteindre. Son pas était devenu plus léger. Il trouvait la nuit moins hostile. Même le froid se faisait un peu oublier. Au carrefour de la rue Hautefeuille et de la rue des Cordeliers, apparut soudain le chevet de l’église, comme une terre promise. Il longea le bâtiment tout en longueur, pour se rendre devant l’entrée principale. Parvenu dans l’ombre du porche, il sentit confusément une présence derrière lui. Il n’eut pas le temps de se retourner. Poussé brutalement dans le dos, il se trouva projeté violemment contre le portail dont les ferrures lui entamèrent le visage. Il était immobilisé, écrasé par une masse puissante. La douleur lui interdisait tout mouvement. D’ailleurs, pour quoi faire ? Il était trop malingre pour se défendre. Les gueux avaient dû le repérer et le suivre. Il ne s’était pas méfié. Sa poitrine aussi le faisait souffrir. A coup sûr, une côte brisée. Son agresseur l’avait plaqué contre le bois du vantail et il sentait son souffle chaud contre sa nuque. L’autre le tenait fermement, sans qu’il pût caresser l’espoir de réussir à desserrer cette étreinte. - Que me voulez-vous ? parvint-il à articuler. J’ai de l’argent dans ma bourse. Prenez-le et laissez-moi la vie sauve. Pour l’amour de Dieu ! L’autre ne répondit rien. Il se contenta de relâcher légèrement sa pression lorsque la lame de la dague eut achevé de traverser de part en part la maigre silhouette. Le vieil homme s’affaissa lentement, dans un long râle, et ne perdit la conscience des choses qu’en s’affalant sur le dallage humide du parvis.

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